Il était une fois Virginie Taine, mémère « Fortune »
En ce milieu du XIXe siècle, l’année 1846, Virginie Taine, avait épousé son prince charmant, Célestin Fruit.
Tous deux habitaient le petit village de Bertry, avaient le même âge — vingt-cinq ans — et avaient grandi dans ce Cambrésis aux douces pentes vallonées, où s’étendaient les champs de betteraves et de céréales.
La jeune femme n’était pas née sous de fastueux auspices, les fées avaient oublié de se pencher sur son berceau en survolant le village aux maisons de briques rouges, serrées les unes contre les autres, comme pour se protéger du froid et de l’infortune.
Son père François Taine, mulquinier issu d’une longue lignée de paysans-tisseurs installés à Bertry depuis des siècles siècle, était né le douze brumaire de l’an VI, en pleine Révolution. Cette décennie avait apporté autant d’espoir que de désillusions. On avait rêvé liberté égalité fraternité, on avait essuyé, désordre, instabilité, violence. On ne vénérait plus Dieu, mais l’être suprême. La paroisse s’était muée en municipalité, et la maison commune concurrençait désormais l’église. Après la République était venu l’Empire. Finalement la stabilité était revenue permettant aux habitants d’agir et de circuler librement, mais l’économie avait souffert. On entrait dans une nouvelle ère.
Sa mère Sophie Yamollet, était née dans une famille bonapartiste à l'histoire complexe. Thérèse Victoire Herbet, séduite par le beau jeune homme, avait épousé ce vitrier itinérant venu d’un lointain Tessin, Pierre Antoine Yamollet. Condamné au bagne vers 1810 pour un larcin — peut-être un simple pain volé — on ne le revit jamais. Il disparut sur les routes du Midi, avant même d’atteindre Toulon. Thérèse Herbet éleva seule sa famille nombreuse. Sophie, l'aînée, fut placée très jeune chez un employeur, où elle apprit à filer dès l’âge de dix ans. En 1816, elle donna naissance à un petit Désiré, enfant naturel qui ne vécut que 4 jours. Cette année-là fut maudite. des pluies abondantes et continues noyèrent les terres et gâtèrent les récoltes. Les blés pourrissaient dans les champs, les maisons s’effondraient, et les ventres restaient vides. Les deux années suivantes furent tout aussi sombres.
Puis, peu à peu, la vie et l’amour reprirent leurs droits. François et Sophie s’aimèrent et s’établirent ensemble. Quand Virginie naquit, en janvier 1821, François se présenta en mairie pour déclarer l’enfant sous le nom d’Anne Virginie Sophie. Il la reconnut comme sa fille. Le couple n’était pas marié — par choix ou par empêchement…
Lorsque Sophie s’éteignit deux ans plus tard, laissant le jeune veuf désemparé, la fillette fut confiée à sa grand-mère Herbet. Toute sa vie François pleura sa compagne et ne se remaria jamais.
Virginie apprit à tisser, peut-être fabriqua-t-elle ces grands châles brochés, qui firent la réputation de Bertry. Surtout elle fréquenta l’école, où elle apprit à lire et à écrire. Plus tard, Elle signerait son acte de mariage d’une main assurée.
Moins d’un an après le mariage le destin, toujours capricieux, lui vola leur premier-né avant même qu’il n’ait ouvert les yeux.
La vie, enfin, lui sourit un peu. Cinq enfants naquirent et survécurent — Sophie, Virginie Léonard Emilie, Benoit. Elle les vit grandir, se marier et devenir, à leur tour, les piliers d’autres foyers. Cinq destinées qui, réunies, lui donnèrent dix-huit petits-enfants. Ce sont eux qui, d’une logique enfantine qui échappe aux adultes, lui attribuèrent le surnom de mémère « Fortune », alors que le couple n’était pas bien riche. Peut-être fallait-il chercher cette « Fortune » du côté de la chance.
Virginie, la cadette, resta célibataire et demeura près de ses parents, présence douce, ultime soutien.
Célestin mourut en 1889. Virginie s’éteignit neuf ans plus tard, à l’aube d’un siècle nouveau. Elle disparut comme elle avait vécu : simplement. Aucune tombe ne porte son nom. Le couple, modeste, fut probablement enseveli dans l’anonymat d’un coin de terre du cimetière.
Références généalogiques
Virginie Taine est mon arrière-arrière-grand-mère — ou, pour le dire autrement, la grand-mère de ma grand-mère Gabrielle. Je descends de son fils Émile, celui qui épousa Aimée Wanecq et fonda la branche familiale à laquelle j’appartiens.
J’ai déjà évoqué, dans d’autres chapitres, les parcours des enfants de Virginie Taine et Célestin Fruit.
Sophie : Sophie Fruit (1848-1888)
Virginie : Virginie Fruit, (1852-1931)
Benoît : Benoit Fruit et Aurore Bricout
Léonard : Léonard Fruit (1855-1907)
et bien sûr celui de mes arrière-grands-parents : Emile Joseph Fruit x Aimée Wanecq
Autant de vies entremêlées, d’étoffes familiales tissées au fil des décennies, dont cette chronique poursuit patiemment le motif.

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Date de dernière mise à jour : Mar 09 déc 2025
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