Cetait au temps ...

Barbier

Arbre alphabet

 

Certaines branches de notre arbre, discrètes, presque invisibles, le petit-bois,  cachent des vies qui ont tissé, sans bruit, le fil de notre histoire familiale.

Ce dossier est dédié à ces "rameaux cachés", ces ancêtres moins connus, dont les traces s’estompent au fil des siècles, parfois effacées par la rareté des archives, d’autres fois par le silence de l’histoire.

 

D'où vient ce nom

Barbier. Difficile de faire plus limpide : voilà un patronyme qui ne joue pas à cache-cache avec l’étymologie. Il dit ce qu’il est, sans détour, comme un panneau de boutique bien peint : ici, on coupe la barbe et on rafistole les vivants. Car le barbier d’autrefois ne maniait pas seulement le rasoir — il taillait le poil, saignait, pansait, tirait parfois une dent récalcitrante. Un artisan du visage et du corps, au service du quotidien depuis que les hommes s’avisent de vouloir paraître propres.

Le métier est attesté dès le XIIIᵉ siècle et le patronyme, très fréquent, figure aujourd’hui encore dans le peloton de tête des cinquante noms les plus répandus. Et pourtant — ironie du sort — malgré sa popularité, il ne se rattache à aucune grande figure de l’histoire… ou presque. Il faudrait convoquer un vieux dictionnaire littéraire pour se souvenir d’Edmond Barbier, écrivain et mémorialiste du règne de Louis XV. Autant dire qu’en dehors de quelques érudits, il n’a pas laissé un souvenir palpitant.

Dans mon arbre

Il faut bien plus qu’une simple échelle — même télescopique — pour aller chercher Jeanne Barbier. Elle se tient tout là-haut, à la quinzième génération, quelque part dans les brumes du XVe siècle, sur une branche que les archives ont depuis longtemps oubliée
Jeanne Barbier serait l’arrière-grand-mère de Michelle Maillot, épouse de Mathieu Bricou, censier à Boussières en Cambrésis. Serait… car à ce stade, le conditionnel est indispensable . J’ai passé une bonne partie du mois de novembre à tenter d’épaissir l’arbre des Bricout — un arbre que je qualifierais volontiers d’arbre en carton, tant les sources sont absentes... en dehors des innombrables copier/coller.
J’étais prête à capituler, à choisir un rameau plus solide, quand un vers de La Fontaine m’est revenu, comme un conseil en aparté :

 sans laisser d’encre derrière elles.

Jeanne descendance

« Si ce n’est toi, c’est donc ton frère… »

Alors j’ai décidé que Jeanne, avec son nom commun et son ombre médiévale, deviendrait le symbole de toutes ces aïeules de quinzième génération — innombrables, silencieuses, effacées — dont je ne connaîtrai jamais les noms, mais dont l’existence a porté la mienne.

Elles se ressemblent toutes un peu : mêmes champs, mêmes hivers, mêmes gestes. Jeanne Barbier, ou l’art de rendre hommage à toutes celles qui furent...

D'où viennent-ils :

Grâce à la revue Cambrésis, terre d’histoire, une piste se dessine enfin dans la pénombre des siècles. On y apprend que Gérard Maillot et son épouse Barbe Delabre — les parents de Michelle Maillot, déjà citée — sont établis comme censiers à Anneux en 1597. Les textes ajoutent que Barbe serait originaire de « Dainville ». Voilà une indication précieuse… et en même temps une invitation à la prudence.
Car en ce temps-là, les gens ne sillonnaient pas les routes à la légère. On se mariait à portée de voix, à deux villages tout au plus, souvent au gré des nécessités du domaine ou dans sa corporation.

"Quarante kilomètres, c’est la distance qui sépare Anneux de Dainville — soit une journée de marche sur des chemins boueux, avec le risque de croiser des bandes errantes en ces temps troublés de la fin du XVIe siècle."Imaginer une jeune femme parcourant quarante kilomètres pour s’établir à Anneux me  laisse songeuse : cela ne relève pas de l’impossible, bien sûr, mais du cas rare.

Alors je m’interroge. Jeanne Barbier, supposée grand-mère de Barbe Delabre, aurait-elle vraiment vu le jour à Dainville, Pas-de-Calais ? Ou bien sommes-nous victimes d’une coquille , d’une confusion , comme il peut en arriver dans la transcription des archives anciennes ? Après tout, à Graincourt les Havrincourt, non loin d’Anneux se trouve une rue Dainville qui mène à... la Fontaine "d’Inville", une ancienne ferme dont le nom, gratté sur un parchemin fatigué, pourrait aisément se confondre avec Dainville
Je ne suis pas historienne, et je ne prétends trancher ni pour l’une ni pour l’autre. Mais la généalogie permet d'avancer des hypothèses sans rien affirmer. Jeanne, qu’elle vienne de Dainville ou d’Inville, reste avant tout une femme de ce terroir-là.

Anneux

Rue d inville dainville

Dans quel monde

Si Jeanne Barbier est née autour de 1480, elle appartient à un monde qui nous échappe presque entièrement — un monde encore médiéval par bien des aspects, mais déjà bousculé par les grandes secousses de l’histoire. Elle aurait vécu plusieurs décennies, jusqu’à mettre au monde sa fille vers 1510 : trente années durant lesquelles l’Europe change imperceptiblement de visage, tandis que, pour les habitants d’Anneux ou d’Inville, la vie demeure rythmée par les saisons, la paroisse et les exigences du seigneur.

C’est vertigineux : Jeanne naît à peine cinquante ans après la mort de Jeanne d’Arc. À ses oreilles, l’héroïne n’est pas un mythe lointain mais un souvenir encore frémissant dans les récits populaires. Lorsque Jeanne élève son enfant, Christophe Colomb n’a pas encore aperçu les rivages d’un continent inconnu qu’il appellera, à tort, « les Indes ». Le monde qu’elle connaît tient dans un rayon de quelques lieues ; l’ailleurs n’existe que dans la bouche des colporteurs et dans les manuscrits que personne autour d’elle ne lit.

Le Cambrésis de Jeanne n’est pas encore ce plat pays ouvert que l’on connaît aujourd’hui. Les villages s’accrochent aux lisières des forêts, entourés de haies vives et de bosquets où rôdent loups et sangliers. Les champs, morcelés en petites parcelles, se noient l’hiver dans des brumes froides qui montent des marais et des ruisseaux, tandis que les fumées des feux de bois traînent bas sur les toits de chaume.

Le village sent la tourbe qui fume dans les foyers, le pain de seigle un peu aigre et et le suif des chandelles de fortune qui pue dans les chaumières en torchis et terre battue. Pour Jeanne et les siens, la nuit tombe vite, et le froid avec.

Les cloches de l’église rythment les jours.

Scene de village Jan Brueghel

Le Cambrésis, officiellement neutre, demeure en réalité sous l’influence du Saint-Empire romain germanique. On y parle picard, français, parfois flamand. On y compte en sous, en patars, en florins. À Cambrai, l’hôpital Saint-Ladre n’est pas un établissement de soins moderne, mais une léproserie où l’on tient à distance ceux que l’on redoute.

Les routes sont mauvaises, les guerres fréquentes, les hivers rudes. Et pourtant, la vie de Jeanne ressemble à celle de milliers d’autres : tenir une maison, cultiver un lopin, affronter la mortalité des enfants, prier, transmettre. Elle ne laisse ni signature, ni acte notarié, ni pierre gravée — mais elle appartient à cette génération charnière qui ferme doucement le Moyen Âge et entrouvre la porte des temps modernes.

Siege de cambrai 1581

Date de dernière mise à jour : Lun 17 nov 2025

  • Aucune note. Soyez le premier à attribuer une note !

Ce site comprend de nombreuses photos.

Pour une meilleures visibilité n'hésitez pas

à cliquer sur chacune d'elles afin de l'agrandir.