Bénoni Rousseau (1790-1810)
Un fils de Bertry perdu à Salonique
Bertry, 18 octobre 1790.
Dans ce village du Cambrésis, un garçon voit le jour : Bénoni Rousseau, fils de Jean-Jacques Rousseau, charpentier, et d’Anne-Geneviève Tuboise. Il est l’aîné d’une fratrie de huit enfants, né dans une France encore incertaine de son avenir.
La Révolution a éclaté un an plus tôt, mais nul n’imagine encore la longue tourmente qui s’annonce. Les familles vivent entre espoir et crainte, sans deviner les bouleversements à venir : confiscations, tensions religieuses, guerres, levées d’hommes. Bénoni grandit dans ce climat d’incertitude, entouré des siens, sans soupçonner qu’à 19 ans, son destin le conduirait, à plus de 2 000 kilomètres de sa terre natale.
le conscrit
Sous le Consulat, puis l’Empire, la loi Jourdan-Delbrel de 1798 a scellé le sort des jeunes Français : “Tout Français est soldat.”
À 20 ans, chacun doit son service à la Patrie, sauf à pouvoir payer un remplaçant — un privilège inaccessible pour les familles modestes comme les Rousseau.
Mais Bénoni n’a pas encore 20 ans. A-t-il été appelé par anticipation pour combler les besoins pressants de l’Empire ? S’est-il engagé volontaire ? Les archives restent muettes. Tout ce que nous savons, c’est qu’il sert comme fusilier au 26ᵉ régiment d’infanterie de ligne, 2ᵉ bataillon, 3ᵉ compagnie, rattaché à la 1ʳᵉ Armée d’Espagne.
L’Empire est alors en guerre sur tous les fronts : en Espagne, en Italie, dans les provinces illyriennes, et jusqu’en Méditerranée orientale. L’usure des hommes est immense, les besoins constants. Rien d’étonnant à ce que Bénoni ait été happé par la mécanique napoléonienne
A Salonique
Le bulletin de décès nous apprend que Bénoni est admis à l’hôpital royal de Salonique le 20 mars 1810. La mention manuscrite “fiévreux” est sans ambiguïté : il ne s’agit pas d’une blessure de bataille, mais d’une maladie, probablement l’une de ces fièvres terribles qui décimaient les troupes stationnées dans les Balkans : typhoïde, dysenterie, malaria…
Il meurt le 9 avril 1810. Moins de trois semaines après son admission.
Et c’est là que le mystère s’épaissit : son régiment, officiellement engagé dans la guerre d’Espagne, figure sur un acte de décès enregistré à Salonique, Macédoine ottomane. Était-il affecté à un détachement spécifique en raison de son métier de charpentier ? Faisait-il partie d’une compagnie déplacée dans les îles Ioniennes, sous contrôle français depuis 1809 ? Ou bien le bulletin reflète-t-il une erreur administrative ?
Nous ne le saurons sans doute jamais. Mais le résultat est le même : un jeune homme de Bertry, enrôlé dans la grande armée de Napoléon, s’éteint dans un hôpital lointain, perdu au bord de la mer Égée.
La mort de Bénoni Rousseau, comme celle de milliers d’autres jeunes soldats, n’a pas fait grand bruit. Pas de croix sur sa tombe, sans doute une fosse commune. Pas de retour à Bertry, pas de corps confié aux siens. Juste une mention sur un registre, noyée dans les listes interminables des morts de l’Empire.
Epilogue
Plus de deux siècles plus tard, ce bulletin de décès le ramène à nous. Il m'a été confié par notre ami Jacky Foubert. De nos jours, grâce à internet et à la mise en ligne progressive des archives, des documents longtemps inaccessibles aux chercheurs occasionnels refont surface. Autrefois réservés aux historiens, aux érudits ou à ceux qui pouvaient se déplacer dans les dépôts d’archives, ces registres, désormais diffusés, permettent aux généalogistes amateurs d’exhumer des destins oubliés.
Ainsi, ce morceau de papier jauni, consigné à Salonique en 1810, nous raconte la fin d’un jeune homme de 19 ans. Un fils de Bertry, fusilier au 26ᵉ régiment d’infanterie de ligne, mort à l’hôpital royal de la fièvre qui décimait les garnisons napoléoniennes. Désormais, Bénoni n’est plus seulement un nom sur un registre militaire : il retrouve une place dans la mémoire collective, et son histoire rejoint à nouveau celle de notre village.
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Date de dernière mise à jour : Mer 10 sept 2025
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