Cetait au temps ...

Zélia Comien, La Princesse Mura

Une souveraine sans royaume

Il est des principautés qui ne s’héritent ni par le sang ni par le droit divin, mais par un clin d’œil, un sobriquet  lancé un soir, et qui finit par coller à la peau.

Zélia Comien, qu’on appelait avec malice la « princesse Mura » ou simplement « la Princesse », était de ces têtes couronnées d’un autre genre. Pas de sceptre, pas de carrosse, mais un cabas, une manteau et un sourire.

 

Des figures historiques

Louis-Philippe Ier, "roi des Français" (et non "roi de France", nuance significative), régna de 1830 à 1848 sous ce qu’on appelle la monarchie de Juillet. Il se voulait roi modéré, bourgeois, et proche du peuple.

Il fut le seul souverain à n'avoir jamais engagé la guerre. Son règne fut pourtant secoué par les tensions sociales et les révoltes ouvrières, jusqu’à son abdication en février 1848.

L’histoire commence bien avant elle, dans une filiation qui a flirté un jour avec les grands noms de l’Histoire, ou du moins leurs échos. En 1834, Philippe Comien et son épouse Agnès Fruit donnent naissance à un fils qu’ils prénomment Louis Philippe — un choix qui rappelle ce « roi des Français » qui régnait alors. Coïncidence ? Peut-être. Mais les prénoms, dans les familles comme dans les romans, sont rarement innocents.

Louis Philippe Comien grandit, se marie en 1857 avec Euphrasie Haimel, et parmi les enfants qu’ils élèvent, l’un est baptisé Henri Mura. Mura ! Un nom trop rare pour être anodin. Trop sonore pour ne pas évoquer, dans les esprits populaires, ce Murat flamboyant, beau-frère de Napoléon, roi de Naples et prince par décret impérial. Était-ce là une admiration, une volonté de s’affirmer en une époque tourmentée où la République, alterne avec l’Empire et la royauté ? Qu’importe. Le sobriquet surgit : "Prince Mura". Et, comme dans tous les villages, il finit par se transmettre, tel un patrimoine immatériel.

Henri Mura Comien, tisseur et marchand de légumes, épouse Marie-Louise Louvet, qui deviendra cabaretière. De leur union naîtront cinq enfants, dont deux mourront dans l’année, ainsi que la fille aînée à tout juste vingt ans. Il ne restera que Richard, qui hérite du titre de « Prince Mura(t) » par la fantaisie des bertrésiens, et Zélia, la Princesse sans château.

Richard ne sera jamais soldat. Le conseil de révision le raye d’un trait discret, déclaré inapte, il sera exempté. Célibataire, il restera là, traversant la Grande Guerre puis la suivante dans le décor quotidien, en homme tranquille, discret.

Zélia perd sa mère en 1917, elle n’a que quinze ans. Elle prend alors en charge la maisonnée, veillant sur son père et son frère. C’est sans doute là que les contours de sa vie se figent : ni mariage, ni grand départ. Elle s’enracine, ou se résigne, dans ce quotidien modeste, un peu en marge.

La Princesse, nous la connaissons. Ou du moins, nous croyons la connaître. Que savons-nous vraiment de Zélia dans les années 30, 40, 50 ? Peu de choses. Une mention dans l’état civil : en 1930, elle a une fille, née de père inconnu.
Mais rien de scandaleux n’en ressort. Des anciens se souviennent d’elle encore bien intégrée dans les années 50. Elle et son frère vivaient de peu. Tous deux rendaient des service, ils nettoyaient, jardinaient, gardaient un œil sur les enfants, contre une modeste rétribution. Ce n’est que plus tard, semble-t-il, qu’ils glisseront doucement vers une forme de solitude à la marge, sans exclusion, sans rejet, mais un peu en dehors.

Richard son frère mourra à l’hôpital du Cateau en 1966. Tous deux habitent une petite maison, rue Léon Lemasle qui faute d’entretien  se transformera doucement en masure jusqu’à devenir inhabitable.

Zelia comien

Les années 70 sont celles de la photo, celles dont notre génération se souvient .

La Princesse Mura(t) dont Le manteau est un peu trop grand, ou peut-être est-ce elle qui a rapetissé. Les chaussures, solides comme elle, sont d’une autre époque, elles ont parcouru des centaines de kilomètres. Les bas épais maintes fois reprisés. les cheveux en bataille mais toujours le sourire. Une figure familière, à la fois pauvresse et originale, mais attachante en dépit de son aspect négligé.

Elle n’avait pas grand-chose, mais elle donnait.

Elle aimait la jeunesse, les enfants. Elle achetait des poupées aux fillettes, envoyait des cartes, offrait un petit cadeau quand un jeune couple du village se mariait ou devenait parent. Des attentions simples.

Le 21 novembre 1973, baptisée mascotte du club de football de Bertry, elle avait accompagné les joueurs  au Parc des Princes pour France-Danemark. Longtemps elle en parla en citant tous les noms des jeunes bertrésiens. "Che cha du fot bal… ah bin che bon !", disait-elle, avec l’accent de Bertry.

Zélia s’est éteinte le 2 juillet 1988 à Caudry.

Conclusion

 

Collard Comien Delhaye

Denoyelle Fruit Haimé

Haimel Henninot Herbet

Hutin Lecardez Leduc

Lenglet Louvet Marlière

Oblin Pruvot Rousseau 

Sagnier Taine Toillier

Zélia, c’était la génération de mes grands-parents. Une figure familière, un peu à part, et pourtant bien ancrée dans la mémoire des Bertrésiens. Je l’ai longtemps vue comme une silhouette isolée, une originale. Et puis, par curiosité généalogique j’ai comparé ses ancêtres aux miens.

Résultat ? Trente-six liens de parenté avec 21 patronymes (ci-joint).

Mais mon cas n’est pas exceptionnel. Il est même banal, à Bertry. Car vous tous, habitants du village — vous qui avez grandi ici, vous dont les aïeux sont enterrés dans le même cimetière, vous dont les familles se sont entremêlées au fil des siècles —, vous partagez sûrement, vous aussi, un bout d’ADN avec Zélia.

C’est cela, Bertry : un tissu humain cousu serré, tissé par cinq cents ans de vie commune, de baptêmes, de veillées, de naissances, de noces, de commérages et de fraternité silencieuse.  Zélia n’était pas qu’un personnage pittoresque.

Elle était des vôtres.

Des nôtres.

Remerciements

Mes remerciements à Francis Taine, l'auteur de la photo, prise en 1976, et à Jacky Foubert qui l'a rediffusée sur la page Facebook consacrée à Bertry.

Merci à toutes et à tous qui, par vos commentaires repris ici, avez permis de rendre mon billet plus vivant.

 

 

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Date de dernière mise à jour : Ven 13 juin 2025

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