Laurent Mastias 1901-1944
Laurent Mastias fils de Emile Mastias et Anasthasie Louise Wanecq.
Nous ignorons totalement les circonstances de la rencontre d'Emile Mastias, menuisier, né en 1868 à Cartignies dans l'avesnois avec Anasthasie Louise, née en 1873. Cette rencontre s'est probablement faite au cours d'une réunion familiale... plusieurs Wanecq sont localisés dans l'Avesnois à moins de 20 km.
Le couple se marie à Bertry le 6 aout 1894, en présence de 4 de leurs amis, témoins. Ce détail laisse à penser qu'ils sont, soit très autonomes, soit distants des autres membres de la famille Wanecq, les frères et sœurs d'Anasthasie.
Pour ses neveux la tante Anasthasie est la "tante Tasie", cependant elle n'aime pas son 1er prénom et utilise plus volontiers son 2è prénom. C'est sous le nom de Louise Wanecq qu'on la retrouvera dans divers témoignages familiaux.
Emile Mastias s'installe comme artisan menuisier à Bertry. C'est un homme très grand, 1m90, que les bertrésiens ont surnommé "long Sauyeux"
Un premier enfant nait en 1896, c'est une petite fille, Marthe, puis vient Maxime en 1898.
1899 est une année noire, les deux enfants meurent emportés par une méningite à 3 semaines d'intervalle.
La vie est difficile chez les Mastias-Wanecq, Emile s'adonne à la boisson. iL lui arrive d'être violent.
En avril 1900 nait un nouveau petit Maxime.
Les affaires ne sont pas bonnes, le couple connait de telles difficultés financières qu'il perd le logement dont il est locataire. Les Mastias partent habiter Maurois pour une année, le temps que les dettes apurées par la famille, ils reviennent sur Bertry. C'est dans ces circonstances fortuites que naît Laurent, à Maurois le 1er novembre 1901.
Bertry : La famille habite probablement rue du Riez (actuelle rue Jacquard) d'après le rapprochement que j'ai tenté de faire entre la topographie des lieux, présence de l'abreuvoir Postry et le recensement 1906 où figure la famille Meresse, des agriculteurs. Maxime raconte les premières images qui ont pris place dans son cerveau à l'âge de trois ans:
"Les copeaux de l'atelier de mon père,
La ferme de Mme Meresse et sa basse-cour, le gros coq presque aussi grand que moi et le cheval qui tirait les bidons de lait.
L'abreuvoir collectif. je prenais plaisir à regarder les canards plonger sous l'eau pour revenir à la surface quelques mètres plus loin et d'autres qui faisaient le poirier"
Rien ne peut mieux décrire leur situation que ces quelques mots écrits par Maxime une fois adulte :
"Dans ma jeunesse je n'ai tissé qu'une mauvaise trame dont le tissu est resté médiocre avec un envers de chaque côté"
1903, nouvelle année noire : Emile Mastias meurt à l'age de 34 ans. Cette même année, le jeune Laurent qui jouait dehors avec des camarades reçoit une brique sur le dos. La colonne vertébrale est touchée. L'enfant est paralysé.
Laurent, conjointement à cet accident, souffre d'une terrible maladie le mal de Pott, il s'agit d'une atteinte vertébrale de la tuberculose. Cette maladie, aujourd'hui très rare, se soigne maintenant par une antibiothérapie longue et lourde.
La maman, elle-même de santé délicate, se retrouve seule, veuve à 30 ans, avec les deux petits, dont Laurent infirme. Maxime dira : "il ne restait plus que moi de droit à la maison"
Maxime est pris en charge par un oncle de St Quentin pendant un an. Jusqu'au nouveau mariage de sa maman.
Anasthasie "Louise" épouse en novembre 1904, un peintre en bâtiment originaire de Caullery : Léon Ramette. Quelques mois plus tard elle est de nouveau enceinte, ( naitra en août 1906,Hélène Ramette). La famille est partie habiter Caullery.
Anasthasie n'est pas suffisamment forte pour mener de front sa grossesse et les soins à apporter à Laurent.
Le pronostic des médecins en ce qui concernent le petit garçon est sans appel, l'enfant ne devrait pas survivre plus de quelques mois. Il est placé à l'hôpital sanatorium maritime de Zuydcoote. (Zuydcoote n'ayant été inauguré qu'en 1910, je suppose que les années précédentes il était, en fait, dans l'ancienne structure qui se trouvait à St Pol sur Mer)
Le pronostic des médecins était faux, Laurent est toujours en vie en 1914 et est près de revenir à la maison après 8 années de sanatorium, quand survient la 1ère guerre mondiale. Ce seront 4 longues années supplémentaires de souffrance loin des siens.
Pendant 18 ans, Laurent n'aura connu que la souffrance. De son handicap il a gardé une petite taille 1m43 et un torse déformé par une bosse. Ces éléments lui vaudront plus tard la réforme de l'armée.
En 1909, nait à nouveau une fille, on l'appellera Louise comme sa mère. Louise restera toute sa vie très proche de son demi-frère.
Ci-dessous une photo extraite d'une photo de classe à l'école de Caullery.(Source Michel Herlaut)
Au cours de ses années de sanatorium, Laurent a appris le métier de l'horlogerie.
Il est bon apprenti, puisque son maitre d'apprentissage l'envoie effectuer un tour de France comme compagnon. Nous savons qu'il se perfectionne à Cahors de 1922 à 1925.
A l'issue de ce tour de France, fin des années 20 ou tout début des années 30, il décide de s'installer horloger réparateur à Bertry, village d'origine de sa maman. Son atelier est situé dans la rue de l'église (actuelle rue Gambetta ) à l'emplacement du parking de l'actuelle supérette.
Mon grand-oncle Emilien Fruit qui a agencé son petit atelier se souvenait de lui comme d'un homme élégant, toujours bien mis, aimant la bonne chère et le bon vin. Laurent ne se projetait pas dans un avenir qu'il savait incertain, il jouissait de tout ce que le présent pouvait lui apporter. Pendant toutes ces années sa sœur Louise veille sur lui.
Puis, moins de 10 ans plus tard, (vers 1937/1938) Laurent quitte Bertry pour s'installer à Saint Quentin. Pourquoi le choix de St Quentin ? Peut-être parce qu'ils y ont de la famille (l'oncle qui a hébergé un temps Maxime) ou pour se rapprocher de son frère Maxime parti s'installer à Levergies. Quoi qu'il en soit, la possibilité de clientèle qu'offre St Quentin n'a pas de comparaison avec un petit village comme Bertry.
Laurent installe son nouvel atelier place Lafayette, que nous connaissons mieux sous le nom de "Place aux grenouilles" Une Bijouterie existe toujours à l'emplacement de sa petite échoppe.
Une photo de Laurent, dans un parc des Champs Elysées de Saint Quentin.
Bien entendu, Laurent n'est pas mobilisé, sa réforme est confirmée.
Cependant cet homme qui n'a rien à perdre s'engage en résistance. Là il peut être utile. C'est ainsi qu'il rejoint, dès sa constitution, le réseau TELL MUSICIAN commandé par Gustave Bieler, plus connu sous le pseudo de "Commandant Guy".
Guy Bieler est un français émigré au Canada en 1924. Il est enseignant et traducteur. En 1934 il obtient la citoyenneté canadienne. En 1940 il rejoint le contingent universitaire, est envoyé en Grande-Bretagne comme officier de renseignement. C'est en 1942 qu'il est recruté par le SOE (Service Operations Executive) service secret britannique créé par Winston Churchill en 1940 avec pour mission de soutenir les différents mouvements de résistance. En 1943 il prend en charge la direction et l'organisation d'un mouvement de résistance dans la région de Saint Quentin, qui deviendra le réseau Tell-Musician.
Le commandant Bieler s'installe en avril 1943 dans la maison d'Eugène Cordelette, géomètre dans le village de Fonsomme. Le réseau organise des missions de renseignement, de sabotage, il reçoit des parachutages d'armes et d'explosifs, l'objectif final étant de préparer le débarquement. En septembre 1943, le SOE envoie Yolande Beekmann (1911-1944) comme opératrice radio. Son pseudo est "Mariette".
Les liaisons radio étaient vitales pour les réseaux, mais leur vulnérabilité était grande. Les allemands avaient des équipes de repérage très performantes. Le danger était considérable : L'espérance de vie d'un opérateur radio était estimée à trois mois maximum.
Le 13 janvier 44, le réseau a été repéré, les Allemands arrêtent Guy Bieler et Yolande Beekman au café le Moulin Brûlé à Omissy. Tous deux sont torturés au quartier général de la Gestapo mais ils ne cèdent pas.
Seront également arrêtés le même jour Monsieur et Madame Tixier les propriétaires du café ainsi qu'Arthur Van Roekeghem qui s'était rendu à ce rendez-vous.
Dans la semaine qui suivra le reste du réseau tombera. Du matériel radio appartenant à Yolande Beekman est découvert au domicile de Laurent. Il sera conduit au siège de la Gestapo et confronté avec la radio-télégraphiste Lieutenant Mariette Beeckman, mais il ne parlera pas.
Chef d'inculpation : "boite aux lettres du réseau Tell et assistance à parachutistes alliés".
Nous savons par le témoignage familial de Louise après la guerre, que des aviateurs avaient effectivement été cachés à la boutique de Laurent.
Il sera interné à Saint Quentin puis transféré au Camp de Compiègne Royallieu le 14 mars 1944, dans l'attente de sa déportation prévue le 6 avril. Torturé, il meurt le 2 avril 1944, en présence d'Eugène Cordelette lui aussi interné.
Guy Bieler sera transféré dans un camp de concentration en Allemagne où les tortures se poursuivront. Il sera fusillé le 5 septembre 1944 à Flossenburg (Bavière).
Yolande, Mariette Beeckmann, sera déportée le 12 mai avec 1944 et exécutée le 13.09.1944 à Dachau .
Monsieur Tixier déporté à Mauthausen ne reviendra pas. Son épouse Germaine survivra à son internement à Ravensbruck.
Arthur Van Roekeghem, sera déporté à Mauthausen, il reviendra.
Monsieur Closset, qui a bien connu Arhtur Van Roekeghem, m'informe que ce dernier était en relation avec le Maquis de Saint-Algis. Maquis spécialisé dans la récupération des parachutages.
Sa fille Annie Van Roekeghem, m'a transmis le document suivant, qui donne la chronologie de cette funeste semaine, ainsi que les noms de beaucoup de membres du réseau. Ce document est extrait du livre de l'historien Roger Busseniers "la résistance dans le Saint Quentinois" écrit en collaboration avec son papa.
Maurice Dalongeville, agriculteur à Fonsomme et membre actif du Maquis de Mazinghien. Déporté le 6 avril à destination de Mauthausen, il sera gazé le 26 septembre 1944.
Ambroise Marolle, agriculteur à Fonsomme, Déporté à mauthausen, sera gazé à Hartheim le 17 août 1944.
Marthe Lefebvre et Alice Lamy, arrêtées le 15 janvier, ainsi qu'André Rozo, l'agent de liaison de l'OCM. (Organisation Civile et Militaire, mouvement de résistance)
Octave Quincampoix (arrêté le 18 janvier) et Gérard Parent (arrêté le 17 janvier), de Bohain,mourront également en déportation.
Déportés également : 'Source Fondation pour la Mémoire de la Déportation.
Robert Justine de St Quentin. Mort en déportation à Mauthausen.
Leandre Mathias de Morcourt, Mort en Déportation à Melk.
Robert Beaumeister, déporté à Mauthausen. Rentré.
Ernest Patout, Déporté à Melk-Mauthausen. Rentré.
René Lefebvre de Bohain,déporté à Melk-Ebensee. Rentré.
Marcel Dubus né a Douai.Déporté à Melk-Ebensee.Rentré.
René Defontaine né à Douai. Déporté à Mauthausen. Rentré.
Paul Maguire né en 1907 à Roucourt. Déporté à Melk-Ebensee. Rentré.
René Vintras de Douai né en Moselle. Déporté à Mauthausen. Rentré.
Louis Bosio d'Escaudoeuvres.Déporté à Loïbl-Mauthausen. Rentré.
Adolphe Chartier né à Paris, habitant Cambrai.Gazé à Hartheim.
J'ai récupéré au centre historique des archives de Caen et de Vincennes (merci à mon amie Lucette Berranger pour sa visite à Vincennes) le dossier de résistant de Laurent Mastias.
Lettre témoignage d'Eugène Cordelette de 1954 sur la participation au réseau :
PV de gendarmerie, audition témoignage de Madame Tixier :
PV de gendarmerie, audition d'Eugène Cordelette:
Certificat de décès de Laurent Mastias:
Laurent Mastias est déclaré "Mort pour la France". Il reçoit la croix de guerre avec palme et citation à l'ordre de l'armée le 14 janvier 1947 à titre posthume.
Son corps récupéré par sa famille sera inhumé au climetière de Levergies.
"D'une intelligence et d'un cran admirable, niant avec vigueur ses attaches à la résistance, a fait preuve d'un grand courage poussé jusqu'à l'extrême sacrifice"
Laurent Mastias obtiendra également post-mortem le l titre d'Interné de la Résistance carte 1.202.10027
Engagé au sein des FFC (Forces Françaises Combattantes) comme P1, puis P2 au moment de son incarcération. :
Ce qui prouve qu'il n'était pas qu'un résistant occasionnel mais jouait un rôle relativement important dans son réseau.
- P1 : Agent de renseignement ou responsable qui travaille pour la résistance d'une manière habituelle.
- P2 : Agent de renseignement ou officier responsable qui travaille en permanence pour la résistance. Ou il prend grade de Sous-Lieutenant.
il est promu Chevalier de la Légion d'Honneur à titre posthume le 28 avril 1959.
A la fin de la guerre Louise Ramette, demi-sœur de Laurent est revenue à Bertry pour raconter à ma famille la triste fin de son frère, puis elle s'est mariée. C'est à son fils Laurent Ognier que je dois la documentation photographique, je l'en remercie vivement.
Mes remerciements vont également à Michel Herlaut qui m'a aidée dans les recherches auprès de la famille Ramette,
Ainsi qu'à tous les amis du forum d'histoire 39/45, Le Monde en Guerre, qui m'ont apporté une aide précieuse dans la compréhension du milieu militaire et de la Résistance et encouragée dans ma démarche.
L'histoire de Laurent Mastias avait été totalement oubliée, son nom ne figurait sur aucune stèle, je me suis donc attachée à le faire inscrire au mur des noms du Mémorial de Royallieu
Ensuite j'ai engagé une demande d'inscription au Monument aux Morts de Maurois son village natal. La cérémonie a eu lieu le 8 mai 2015.
Il me reste à publier ici quelques photos dont nous ignorons tout, avec l'espoir qu'une personne les découvre ici, et puisse nous les commenter.
Laurent Mastias
Date de dernière mise à jour : Jeu 10 déc 2020
Commentaires
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- 1. RAVIART Francis Le Sam 19 fév 2022
Bonjour , mon épouse décédée en 1985 était la petite fille d'Hélène Ramette épouse Duval . Je souviens parfaitement de la photo de Laurent Mathias qui figurait en bonne place dans la maison . C'est le hasard d'une recherche qui m'a fait tomber sur ce nom . La famille entretenait sa mémoire . Cordialement . FR
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