Famille Kawibor Bonfil
Juliette Bonfil est la fille de Nissim Bonfil et de Sarah Elnecave.
Juliette est la cousine d'Esther Angel. Elle a pour 2è prénom Esther également. C'est aussi le prénom de sa grand-mère Bozaldos. ce sera tout naturellement son prénom quand elle s'établira en Israel. Après avoir pris connaissance de ma page perso consacrée à sa famille elle m'a adressé un message que J'ai retranscrit au bas de la page Famille Salomon Angel.
Nissim Bonfil, est né vers 1899, il est le fils de David Bonfil et Esther Bozaldos, couple ci-dessous.
Sarah Elnecave soeur de Louise Angel et Haïm dit Vitali. tous deux disparus à Auschwitz est le fille de Joseph Elnecave et Rachel Levy couple ci-dessous:
Sarah est la .
Les noces de Nissim et Sarah :
La famille habite au 79 rue St Maur, dans le 11è arrondissement. Tous travaillent à la vente et à la réparation de parapluies. La famille habite un petit appartementau dessus de chez les parents Elnecave, et d'une des soeur de Sarah.
Souvenir de Juliette :
"Mes parents me prenaient quelques fois avec eux au marché. Ils avaient un grand étal de parapluies neufs et d'occasion à vendre. Mon oncle Victor, mari de ma tante Régine grand-père de Lucette, faisait la postiche. Il attirait une foule de clients, leur présentant la solidité de la marchandise en tournant et retournant les parapluies et en leur faisant toutes sortes de tours de force qui m' émerveillaient autant qu"ils émerveillaient les nombreux spectateurs"
Nissim, avec son violon ou sa mandoline, rejoint parfois ses amis d'origine turque au célèbre café du Bosphore, point de rencontre de la communauté.
Juliette et ses parents dans un parc, probablement à Paris,
Juliette enfant à l'école de Sancoins en 1939 :
Juliette Bonfil est devenue Esther Kawibor par son mariage avec Bernard Kawibor.
Bernard Kawibor, est le fils de Rachmil Kawibor et de Ethel Cyrklewicz. Lors de la guerre il sera caché par l'OSE (voir le sauvetage des enfants jufs pendant l'occupation)
Le couple Kawibor a 3 enfants, Marcel, Bernard et Rachèle.
Rachèle en 1996 a réalisé un excellent travail, page à la mémoire de Rachmil Kawibor, qui relate l'histoire de la famille ,de leurs origines polonaises jusqu'à la fin de la guerre. Aussi ne vais-je pas paraphraser ce qui a été fait, mais y puiser, quelques références.
A la différence des autres familles : Angel, Elnecave, Valero..., juifs sépharades, originaires de Turquie, les Kawibor sont juifs ashkénazes. Ils ont quiité la Pologne en 1925. Extrait des souvenirs d'Ethel Kawibor, maman de Rachèle :
Maman n'aimait pas parler de son enfance. Elle ne voulait pas évoquer la misère et avait le privilège de vivre dans le présent !
Malgré cela, il est clair que sa famille était très pauvre. Son père était forgeron. Maman l'admirait beaucoup. Elle racontait qu'étant la dernière-née de la famille, elle fut élevée par sa sœur aînée. Elle n'en garda pas un bon souvenir ! Elle évoqua plusieurs fois le fait que les cosaques, durant un pogrom, avaient brûlé leur maison, les forçant à s'enfuir. Lorsqu'ils revinrent, un oncle de maman donna du bois à son père, et celui-ci rebâtit leur maison. Elle se souvint aussi que des voyous polonais, des "Chkotsim", venaient parfois briser les vitres de leur maison... Cela correspond à de nombreux récits du livre où sont relatées les brutalités des soldats et de la population polonaise à l'égard des juifs. Ses parents racontaient que les Goyim volaient des enfants juifs pour les baptiser ! Les Polonais étaient très chrétiens et très antisémites !...Maman ne raconta rien sur la première guerre mondiale. Dans le livre, il y a de nombreux récits d'expulsions, de pérégrinations des juifs qui durent plusieurs fois quitter leurs maisons et se réfugier ailleurs. Lorsque les Autrichiens conquirent une partie de la Pologne, au début de la première guerre mondiale, ils interdirent le commerce et les juifs trouvèrent leur subsistance en passant des marchandises en fraude ("Chmuklerei"). Puis, en 1919, les Polonais obtinrent leur indépendance et le Maréchal Pilsudski prit le pouvoir. Ensuite, il y eut la guerre contre la Russie jusqu'en 1920. Bref, mes parents ne vécurent pas une vie calme durant leur enfance et leur adolescence"
Rachmil Kawibor, arrive seul en Lorraine pour travailler à l'aciérie de Rombas,
puis fait venir en 1925 son épouse avec leur bébé qui vient de naître.
La famille s'installe à Metz, elle habite rue de la Tour aux Rats
, Rachmil ouvre une echoppe de cordonnier au rez de chaussée de leur logement.
le 12 octobre 39, soit un mois après le début de la guerre, Rachmil est arrêté avec de nombreux autres hommes, motif :
"étrangers dangereux pour l'ordre public et d'extrémistes suspect d'activités politiques"
Les autres membres de la famille recevront leur acte d'explusion le 18 août 1940.
Ils prennent le train jusqu'à un centre de réfugiés à Lyon,
d'où ils partent pour rejoindre le camp de Chaudame à Castelanne,
ils y restent un mois après quoi ils sont déplacés vers le camp d'Agde
"Je me souviens surtout de la baraque où nous logions, et de la neige qui tomba cet hiver-là dans le sud de la France, et qui passait par le toit mal couvert…"
le 17 janvier 1941, ils sont transférés au camp de Rivesaltes. Le Camp Joffre.
"Je me revois débarquant d'un train de marchandises et traînant nos ballots vers des baraques dans un lieu désertique, pierres et sable, avec les Pyrénées au loin… C'était lugubre. On nous amena dans des baraques avec des châlits à deux étages (qu'on a vu après guerre dans les camps en Allemagne). Il y avait une maigre couche de paille sur les planches. …Le camp de Rivesaltes se trouvait sur un plateau aride au pied des Pyrénées Orientales. En hiver, la tramontane y soufflait sans cesse. En été, il y a fait très chaud...".
Rachmil Kawibor, fut d'abord interné au camp du Vernet dans l'Ariège
Courant 1942, Rachmil Kawibor obtint l'autorisation de rejoindre sa famille au Camp de Rivesaltes dans le cadre du regroupement familial.
Artisan cordonnier, né le 20 janvier 1895 à Demblin - Pologne- il sera déporté à Majdanek par le convoir n° 50 au départ de Drancy le 04.mars1943. Il ne reviendra pas.
Esther, m'a fait l'honneur de me confier le fascicule de souvenirs de guerre écrit en 2005 par Bernard (Dovka,) son mari aujourd'hui décédé, afin que je l'intègre à ce module. Il est joint intégralement dans . souvenirs-de-guerre-dovka-bernad-kawibor.pdf
DOVKA (BERNARD) KAWIBOR
SOUVENIRS DE GUERRE
Kibboutz Hatzor - 2005
Relater les péripéties de mon enfance durant la seconde Guerre Mondiale n’est une mission ni aisée ni évidente. Durant des dizaines d’années, j’ai tout enfoui au plus profond de moi-même, réaction propre à de nombreuses personnes qui ont subi un destin semblable au mien… Ce n’est qu’en 1991, dans des circonstances que je rappellerai plus tard, qu’un déclic s’est produit en moi et que je me suis ouvert lentement à mon lourd passé.
Je dois avouer que si ma mémoire actuelle me fait parfois défaut, celle de mon passé se précise au contraire de plus en plus. Chaque fois que j’essaie de reconstituer les évènements qui m’ont touché personnellement, ce qui m’arrive souvent ces dernières années, je retrouve à chaque fois de nombreux souvenirs : des endroits oubliés que j’arrive à restituer, des personnes, des dates…
Je voudrais également ajouter une chose qui peut paraître paradoxale de prime abord. Durant ces années d’enfance, je trouvais que ce qui m’arrivait était naturel. Mon père était absent, on me trimballait d’un endroit à l’autre, je pensais que la vie était sans doute faite ainsi. Ce n’est qu’à l’âge de dix ans, lorsque je me suis vu séparé de ma mère, de mon frère et de ma soeur, qu‘un sentiment nouveau est né en moi : il fallait que je me débrouille tout seul, que je trouve quelque chose à manger quand j’avais faim, que j’apprenne à tout faire par moi-même. En un mot, je devais survivre. Le fait de savoir à peine lire et écrire ne m’importunait pas, puisqu’en aucune circonstance je n’en ressentais le besoin. Dans mon for intérieur, je pensais qu’on étudiait quand on était grand.
Je m’appelle Dovka (anciennement Bernard) KAWIBOR, je suis né à Metz (Moselle) en 1932. Mes parents, originaires de Pologne, ont fui les pogroms et leur situation économique précaire pour s’installer en France en 1925. Mon frère aîné, Marcel, est né un an avant leur arrivée en France et ma soeur Rachel un an après. Mon père était cordonnier et tenait un atelier et un petit magasin de chaussures. Nous habitions au numéro 0, rue de la Tour-aux-Rats, dans un quartier où vivaient de nombreuses familles juives ainsi que des nord-africains. Mes parents étaient laïques mais ils respectaient certaines fêtes juives comme Pessah’ où nous mangions des Matzot et le jour de Kippour où il me semble que mes parents jeûnaient
Ils eurent beaucoup de mal à s’intégrer à la culture française et continuaient à parler Yiddish (et non polonais). C’est ainsi que j’ai appris le Yiddish à leur contact. Mais avec mon frère et ma soeur nous parlions naturellement le français.J’avais des copains juifs (dont le futur écrivain André Schwarz Bart qui habitait la même rue) et indifféremment aussi, des non-juifs. Le fait d’être juif m’était assez étranger.
La première fois où j’en pris vraiment conscience, fut un soir, à l’âge de sept ans. Nous nous trouvions à la cuisine, soudain mon père entra précipitamment, hors d’haleine, et nous ordonna de nous adosser tous à la porte. Dehors, des gens essayaient de fracasser la porte à coups de pieds et de pénétrer chez nous en hurlant «sales juifs». Lorsqu’ils repartirent, mon père nous expliqua que certaines gens haïssaient les Juifs. Dorénavant, nous devions être prudents.
La seconde fois, ce fut en 1940. Les Allemands avaient occupé notre ville et de plus en plus souvent nous voyions des inscriptions sur les murs de la ville : «sales juifs » ou « les juifs dehors ». J’allais à l’école Paixhans et un jour, le directeur réunit tous les élèves de l’école dans le préau. Une liste à la main, il fit sortir des rangs tous les enfants juifs et nous annonça que désormais, nous n’avions plus le droit de fréquenter l’école. Peu après, mon père fut convoqué et envoyé dans des camps de travail en France. Ma famille commençait à se démanteler.
Toujours en 1940, des Allemands se sont présentés un jour à notre appartement et nous ont ordonné de fermer l’atelier et de faire nos bagages, une valise chacun. Le lendemain nous avons été embarqués dans un autobus et expulsés de Metz. Nous sommes arrivés à la Foire de Lyon, remplie de lits primitifs. Le bâtiment était plein de réfugiés qui déambulaient. Nous y sommes restés quelques semaines puis nous avons été transférés au camp de Chaudames (près de Castellane) dans les Alpes de Provence. C’était un camp de réfugiés constitué de quelques baraquements où nous avions le droit de circuler ou de sortir librement. Je me souviens que ma mère, de temps en temps, m’envoyait à la campagne pour acheter des provisions. Je traversais le Verdon à gué pour aller acheter du beurre, du lait et des oeufs chez les fermiers.
Fin 1940, nous avons été transférés au camp d’Agde dans l’Hérault. C’était un camp d’internement dont nous n’avions pas le droit de sortir. Les conditions sanitaires y étaient très difficiles et la nourriture rare. Les baraquements étaient en très mauvais état et souvent la pluie pénétrait par le toit et mouillait nos couvertures. Je me souviens d’avoir attrapé des poux. Ma mère me lavait la tête chaque jour et me peignait avec un peigne fin, tuant les poux un à un avec son ongle. On nous donnait souvent des châtaignes à manger. Je trouvais cela délicieux, ça me rassasiait !
Début 1941, nous avons été envoyés au camp de Rivesaltes, dans les Pyrénées Orientales. C’était un immense camp d’internement gardé par des français, dont nous n’avions pas le droit de sortir. Il était entouré de barbelés. Il y avait de nombreux baraquements qui étaient répartis en îlots. Nous y habitions l’îlot I. On y entendait toutes sortes de langues (français, yiddish, espagnol…) et je me souviens qu’il y avait aussi des Tsiganes. Il faisait extrêmement froid. Nous les enfants, nous vadrouillions dans le camp pour chaparder tout ce que nous trouvions. Nous démontions des baraques non-habitées et délabrées et nous ramenions des planches pour allumer des feux de camps et nous réchauffer. Il y avait toujours un vent glacé qui soufflait.
Un beau jour, début 1942, avec l’accord de ma mère, des gens de l’O.S.E. (Organisation Sociale des Enfants) m’ont libéré du camp. Je laissais derrière moi le restant de ma famille qui se démantelait de plus en plus. Je suis arrivé au Foyer d’Enfants Juifs de Palavas-Les-Flots dans l’Hérault, au bord de la mer. Nous étions entourés de moniteurs juifs. Mais je ne suis resté là-bas que très peu de temps.
Très rapidement j’ai été transféré au château de Montintin (Haute-Vienne),
cadre tranquillisant par excellence au milieu d’enfants et de moniteurs juifs. C’est là que j’ai repris une vie à peu près normale… Nous avions beaucoup d’activités sportives et culturelles. Nous faisions des ballades dans les forêts environnantes, pleines de fraises et de mûres que nous ramenions au château. Là, Magda, notre monitrice adorée nous les préparait avec du sucre ou de la crème fraîche.C’est là que j’ai acquis les rudiments du jeu d’échec. C’est là également que j’ai appris et chanté mes premières chansons en hébreu !
De Montintin, en octobre 1942, et toujours pour des raisons qui m’étaient inconnues, j’ai été envoyé au château du Masgellier (Creuse) dans un cadre à peu près identique: les moniteurs étaient juifs mais le personnel et le jardinier ne l’étaient pas.
Je me souviens de Louba qui était comme une mère pour nous. (Le Masgelier" (Creuse) France. Louba, notre bonne Louba, lisant Pearl Buck au chevets des enfants, illustration, souvenirs de Alfred Moritz : Survival in WWII 1933-1944)
Là-bas j’ai appris à faire pousser des légumes et à aimer les travaux de la terre, amour qui m’est resté jusqu’à ma venue au kibboutz en Israël. Par petits groupes d’enfants, nous parcourions les environs, chapardant des fruits le long des sentiers et dans les vergers. Nous avions un terrain de football et un prof de sport, Henri Montagne, dont l’image m’est restée présente toutes ces années. Je l’ai revu dans des circonstances tout à fait particulières. Dans les années 60, alors que je vivais au kibboutz, l’état d’Israël organisait les Maccabiades qui réunissaient tous les quatre ans les meilleurs sportifs juifs du monde. Les installations sportives du pays n’étant pas suffisamment développées et ils organisèrent un tournoi de basket-ball dans notre kibboutz. Le chef de la délégation française y était présent et ce n’était autre que Henri Montagne lui-même ! Je l’ai reconnu immédiatement. Lui ne se souvenait pas de moi, il avait vu tant d’enfants durant la guerre…
Le château de Masgellier était flanqué de deux grandes tours qui servaient de dortoirs aux enfants. Le mien était situé au dernier étage de la tour sud, on y arrivait par un escalier de pierre en colimaçon. Le soir, nous étions allongés sur nos lits et Louba nous racontait alors une histoire à épisodes qu’elle lisait d’un livre impressionnant de grosseur ! Nous nous endormions au son de sa voix.
Je me souviens d’un épisode particulier : les toilettes se trouvaient à l’extérieur du château et la nuit, pour nous éviter de sortir, on nous préparait deux grands seaux à l’entrée du dortoir. Chaque matin, le même spectacle nous attendait : l’urine débordait des seaux et dégoulinait le long des escaliers, empestant tout le château…
Durant cette période je pensais à ma famille mais d’une façon nébuleuse, ne sachant évidemment pas ce qui lui était arrivé. Je pensais qu’ils étaient tous au courant de l’endroit où je me trouvais. La terrible tragédie qui frappait ma famille et le peuple juif en Europe m’était totalement inconnue.
Mes tribulations continuèrent. En octobre 1943, on me transféra au Foyer d’Enfants Juifs de Poulouzat, non loin de Limoges. Le directeur du foyer était Monsieur Job et une des monitrices se nommait Simone Weil (et non Simone Veil, la ministre renommée). Je l’ai revue quelques années plus tard, au mariage de ma soeur qui épousait son frère Roger. Je suis resté très peu de temps à Poulouzat, ignorant toujours que les Allemands recherchaient et déportaient les enfants juifs que nous étions.
Début 1944, j’ai été caché à la Croix Rouge de Limoges, ville occupée par les Allemands. J’étais le seul enfant dans cet établissement. Les infirmières étaient très affectueuses avec moi. Elles me gâtaient en m’offrant des tranches de pain d’épice enduites de confiture mais surtout de bout de baguettes qu’elles me donnaient le matin, moi qui n’en avais jamais goûté. J’avais alors 12 ans. Un jour, je ne sais pas pour quelle raison (peut-être pour me faire redouter les Allemands), deux infirmières me racontèrent ce qui s’était passé à Oradour-sur-Glane où les Allemands, en représailles d’actions des Maquisards, enfermèrent tous les habitants du village dans l’église puis l’incendièrent complètement.
On m’interdisait de sortit de l’établissement mais évidemment, je le faisais chaque jour. Je dévorais des yeux les vitrines bourrées de victuailles et de friandises. J’avais une peur bleue des Allemands et chaque fois que je rencontrais un soldat ou un officier, son bâton à la main, je me cachais instinctivement sous une porte cochère.
Je recevais de temps en temps la visite d’une assistante sociale qui se faisait appeler Paulette. Bien plus tard, j’ai appris que c’était Pauline (Renée) Gaudefroy qui s’occupait de moi. Un jour, elle nous a réunis, quatre autres enfants et moi-même, dans un petit café de la ville. Elle avait l’habitude de nous transmettre de maigres nouvelles de nos familles et de nous distribuer des friandises et parfois même un peu d’argent de poche (c’était la première fois de ma vie que j’en recevais).
Et soudain, deux malabars qui étaient assis à la table voisine se levèrent et lui demandèrent ses papiers. Ils commencèrent à l’interroger et nous ne comprenions pas ce qui arrivait. A un certain moment, j’ai entrevu un revolver caché sous l’aisselle de l’un des individus : c’était la première fois que je voyais un revolver de si près. Après un moment, ils nous emmenèrent tous à l’appartement de Paulette. Là, sous nos yeux ébahis, ils vidèrent toutes les armoires et tous les tiroirs de leur contenu, tout en lui posant brutalement des questions. Ils découvrirent de fausses cartes d’identité ainsi que des cartes d’alimentation (il faut se rappeler qu’à l’époque, on ne pouvait se procurer des produits alimentaires de base qu’avec ces cartes). C’est alors qu’ils ont trouvé une liste d’enfants juifs et leurs adresses (je l’ai compris d’après leur échange de paroles). Paulette, comme une tigresse enragée, s’est jetée sur eux, leur a arraché cette liste et a réussi à en faire une boulette et à la fourrer dans sa bouche. Ils se jetèrent sur elle, essayant par des coups de pieds et des gifles de la lui arracher. Quand ils y parvinrent, la boulette de papier était toute déchirée et toute violette d’encre et ils ne réussirent pas à la déchiffrer. Ils décidèrent de l’embarquer et là, survint un miracle : ils nous ramenèrent tous à nos lieux de séjour. C’est Paulette qu’ils recherchaient, nous ne les intéressions pas pour le moment. Bien plus tard, j’ai appris qu’ils l’avaient remise à la Gestapo où elle mourut sous la torture.
Aujourd’hui je sais que cette femme m’a sauvé la vie ainsi que celle de nombreux autres enfants juifs. Je sais également qu’elle a reçu le titre posthume de « Juste ». Mais la version officielle de sa mort tragique est différente : elle se serait enfuit au Maquis et là, deux maquisards l’auraient prise pour une collabo et l’auraient exécutée sommairement. Je garde précieusement sa photo encadrée et je ne l’oublierai jamais.
Très rapidement, après cette tragédie dont j’avais été témoin, on me cacha dans un tout petit village, « les Bordes » par la Jonchères (Haute-Vienne) où je fus adopté par une famille de paysans. J’appelais Pépé et Mémé les deux plus vieux et leur fille la Tata. C’est ici que j’ai fais mon apprentissage d’adolescent précoce.
Je travaillais à la ferme comme si j’étais leur propre fils. Il y avait une étable et je me souviens du nom de trois des vaches laitières : la Noire, la Rousse et la Blanche. Ces immenses bêtes me faisaient peur au début, mais on s’est rapidement lié d’amitié : je leur donnais du foin, les trayais et enlevais leur fumier. Je les emmenais dans des pâturages soigneusement clôturés où de petits ruisseaux faisaient pousser l’herbe à foison. Il y avait une porcherie où les cochons agressifs me faisaient parfois tomber. Près de l’entrée de la ferme il y avait le poulailler : on ne m’y laissait pas pénétrer de peur que je ne casse trop d’oeufs. Il y avait également une immense grange à foin dans lequel j’adorais me vautrer, les cheveux et les vêtements pleins de paille. La façade de la ferme était tapissée de pieds de vigne dont il m’était interdit de cueillir les raisins, destinés à la fabrication du vin.
Je vadrouillais dans la région et je croquais les pommes et les poires, le long des sentiers. Je grimpais aux arbres comme un petit Tarzan, me régalant de délicieuses noisettes. On m’emmenait parfois au pressoir du village où l’on produisait un cidre extrêmement sucré. J’affrontais les abeilles qui butinaient autour, pour me régaler de ce nectar. A l’époque des foins, j’étais perché au haut du tombereau, m’agrippant tant bien que mal à chaque cahot de la route. Parfois on me laissait m’asseoir devant et l’aiguillon à la main, je piquais les flancs des boeufs pour les inciter à aller plus vite.
La ferme n’était équipée ni d’électricité ni d’eau courante. On m’envoyait avec de grands seaux au puits du village et je me traînais au retour, chargé comme un mulet. Ma mère m’avait inculqué des habitudes d’hygiène très strictes, mais il n’y avait pas d’installations sanitaires à la ferme. Je me demandais toujours comment ils faisaient leur toilette. Au début de mon séjour, j’ai du lutter pour avoir le strict minimum. Un jour, la Tata m’a emmené à pied au grand village voisin, la Jonchères. Elle m’y a acheté des sabots, une brosse à dents et une cuvette en tôle. Je faisais soigneusement ma toilette matin et soir. Une fois par semaine, la Tata me
déshabillait et me frottait vigoureusement dans une immense cuvette pleine d’eau brûlante.
Ma famille paysanne n’était pas très bavarde et ne me racontait pas les évènements mondiaux. Mais ces gens me protégèrent affectueusement. Je leur en suis reconnaissant jusqu’aujourd’hui. J’ai compris que ces gens risquaient leur vie en me cachant. Heureusement, les Allemands ne sont jamais entrés dans notre village, du moins à l’époque à laquelle j’y ai vécu.
Comme j’étais curieux et avide de savoir ce qui se passait, j’allais tous les soirs écouter les nouvelles chez des voisins qui avaient un poste de radio, et je racontais à ma famille ce que j’avais capté.
Un jour, est arrivé à la ferme un autre adolescent, Christophe, bien plus âgé que moi. Nous n’avions pas beaucoup de contacts, nous étions taciturnes tous les deux. Un jour, après une courte période à la ferme, il disparut. Son destin m’intriguait et à mes nombreuses questions on me répondit qu’il était parti au Maquis. La Tata m’expliqua que des français, des jeunes surtout, se cachaient dans les forêts et luttaient pour chasser les Allemands de France. C’est à cette époque que la nuit, j’étais réveillé par de sourdes explosions lointaines et de nombreuses rafales de coup de feu. C’était les Maquisards, actifs surtout la nuit. Souvent, avant l’aurore, des combattants harassés et hirsutes arrivaient au village. Nous leur donnions à boire et à manger et leurs blessures étaient primitivement soignées. Ils disparaissaient aussi brusquement qu’ils étaient apparus.
C’est alors, début 1945, que quelqu’un décida (l’O.S.E. sans doute) de m’envoyer à l’école. Le jour de mon départ, j’ai quitté ma famille les larmes aux yeux. Ils m’avaient acheté un pantalon et une chemise blanche resplendissante et m’embrassèrent comme leur propre fils. Je suis arrivé au Collège de la Souterraine, dans la Creuse. J’étais très en retard dans mes études et on me mit dans une classe avec des élèves plus jeunes que moi. J’étais là sous un faux nom (Bernard Keller) et je cachais instinctivement mes origines juives. J’étais livré à moi-même, parmi des gens qui m’étaient étrangers. Je me rappelle que tous les élèves avaient des casiers personnels que leurs familles bourraient de victuailles : fromages,saucissons et friandises. Moi, mon casier était toujours vide. On nous distribuait une barre de chocolat, une fois par jour, et pour en jouir plus longuement, je la faisais fondre sur une tartine de pain que je dégustais le soir, sous mes draps.
Au printemps 1945 survint un miracle : une assistante sociale vint me chercher et en route, elle me raconta que ma mère avait été retrouvée et que j’allais la rejoindre. J’ai revu ma mère le coeur battant, elle ne cessait de me serrer dans ses bras. Nous étions dans un camp de réfugiés à Excideuil, dans la Dordogne. Répondant à mes questions sur la famille, elle m’apprit qu’on n’avait pas de nouvelles de mon père, que ma soeur était cachée quelque part. Elle me raconta les larmes aux yeux que mon frère Marcel avait quitté le camp de Rivesaltes, pris en charge par les E.I.F. de Périgueux qui le placèrent dans une ferme maraîchère à Caussens dans le Gers. En 1944, il se joint au Maquis d’Armagnac où il reçut le nom de Marcel Cartin. Il servait d’agent de liaison. Une nuit, il se trouva dans la cellule de Villesfranche d’Astarac, quand ils furent attaqués par mille Allemands équipés de tanks et de canons. Presque tous les résistants (62) tombèrent au combat et furent inhumés dans une fosse commune à Meilhans-sur- Gers où fut érigé un immense monument. Cette nouvelle m’atterra, je ne savais comment réagir. J’errais dans le village, désoeuvré, et les liens avec ma mère se renforcèrent. Sans trop de détails, elle me raconta qu’elle-même, après avoir quitté Rivesaltes, fut internée dans d’autres camps. Finalement elle fut envoyée au camp de triage maudit de Drancy. Là, par un véritable miracle, elle réussit à baragouiner quelques phrases en allemand et à ramollir le coeur des ses gardiens jusqu'à ce qu’ils la libèrent.
Je me souviens qu’à Excideuil, dans notre baraquement, j’avais accolé au mur une grande carte d’Europe et avec l’aide d’épingles et d’un fil, je suivais journellement l’avance des armées des Alliés et l’étau qui se resserrait lentement autour de Berlin. C’est là également que j’ai retrouvé ma soeur qui se cachait dans une ferme près d’Excideuil, au Noyer.
C’est alors que survint la Libération. Toutes les cloches des environs sonnaient, les gens festoyaient dans les rues pavoisées.
Notre appartement à Metz étant encore occupé, nous sommes restés quelques temps avec la famille Weil et ma soeur à la ferme du Noyer. Plus tard, ma soeur épousa leur fils Roger et ils s’installèrent dans la ferme familiale à Neudorf, près de Strasbourg. Du Noyer, ma mère et moi sommes revenus à Metz.
C’est là que ma mère m’apprit la terrible nouvelle : mon père était mort en déportation. Il avait passé tout le début de la guerre dans des camps de travail en France, puis envoyé au camp de triage de Drancy, il avait été déporté à Auschwitz par le convoi n° 50, le 5 mars 1943, puis à Majdanek où il fut assassiné… Je restais seul avec ma mère. Elle se remit courageusement au travail. Elle était couturière et travaillait sans répit, jour et nuit, pour nous faire vivre. Moi, je n’arrivais pas à combler le retard dans mes études et je suis rapidement devenu apprenti dans une menuiserie-ébénisterie. Je fréquentais un Mouvement de Jeunesse sioniste (l’Hashomer Hatzaïr) qui a implanté en moi l’amour d’Israël. J’ai fait mon alyah en 1952. Je promis à ma mère de la faire venir le plus rapidement possible. Effectivement, elle m’a rejoint un an plus tard au Kibboutz Hatzor, où elle vécut jusqu’à sa mort, en 1989. Là, au moins, elle a vécu une vie apaisante, entourée de sa famille et de ses petits-enfants.
J’ai épousé Esther, une parisienne, enfant-cachée elle aussi. Nous avons trois enfants, Dany, Vardit et Gliliah. Nous avons aujourd’hui 11 petits-enfants.
Pendant toutes ces années passées en Israël, je m’étais juré de ne jamais mettre les pieds en Allemagne et en Pologne. Le destin en voulut autrement. En 1991, Esther et moi sommes partis à Lyon pour une mission éducative du Hashomer Hatzaïr. Dans le cadre de mon travail, j’ai accepté d’accompagner un groupe de futurs moniteurs du Mouvement dans un voyage commémoratif aux camps de concentrations en Pologne. Et c’est en arrivant à Majdanek, où mon père a été assassiné, que j’ai craqué… Nous avions organisé une petite cérémonie commémorative avec les drapeaux israéliens et le chant de la Tikvah, en souvenir de tous ceux qui ont péri pendant la Shoah. C’est alors que j’ai spontanément pris la parole et raconté pour la première fois le périple de mon père. Personne n’était au courant de ma tragédie personnelle et tous avaient les larmes aux yeux.
C’est à partir de cet épisode et de ce moment très fort que j’ai lentement reconstitué mon parcours pendant la guerre, ajoutant détails sur détail au fil des ans. Bribe par bribe j’ai raconté mon passé à ma famille, surtout le Jour de la Mémoire de la Shoah que nous commémorons chaque année avec ma femme, mes enfants et mes petits-enfants.
En l’an 2000, nous décidâmes, Esther et moi, de faire un voyage-retour vers notre passé en France. Nous voulions revoir certains endroits où nous étions cachés pendant la guerre. Nous avons revu St.Amand Montrand et surtout Sancoins, dans le Cher, où Esther se cachait avec ses parents, la toute petite maisonnette où elle vivait. Et surprise, nous avons revu à Apremont-sur-Allier, l’endroit où tous les gens qui fuyaient la zone occupée pour la zone libre, traversaient l’Allier à gué. C’est un vieil habitant du village qui nous l’a montré. Ma femme en était tout émue.
J’ai revu le Château de Montintin (complètement dénudé du lierre ou du chèvrefeuille qui le recouvrait à l’époque). J’ai visité l’imposant Château de Masgellier (transformé en école d’équitation) où la plaque de cuivre apposée sur la façade rappelle que de nombreux enfants et moniteurs juifs ont été déportés de cet endroit, peu de temps après mon séjour là-bas. J’ai signé le Livre d’Or des visiteurs, y laissant mes coordonnées en français et en hébreu dans le vague espoir que quelqu’un se souviendrait de moi. En discutant avec la responsable de l’endroit, j’essayais de retrouver une personne qui avait vécu à cette époque. Elle m’envoya au bas de la colline, au moulin qui existait toujours mais ne fonctionnait plus. Je me souviens parfaitement de ce moulin où nous descendions souvent. J’y ai rencontré une fermière de mon âge. Suite à mes questions précises, elle me présenta sa mère, Mme Chambaud, une femme très âgée qui se souvenait parfaitement qu’à l’époque, des enfants venaient souvent la voir. Elle leur offrait du pain, du lait et des pommes. Encore une personne qui a participé à ma survie…
Nous sommes allés ensuite au monument de Meilhans-sur- Gers où mon frère est inhumé. L’endroit était parfaitement entretenu. Esther et moi avons été très choqués par deux détails. La tombe de mon frère était surmontée d’une croix :on ignorait sans doute que mon frère était juif.
De plus, son nom était déformé et son prénom ne figurait ni sur la plaque commémorative ni sur la tombe. Nous avons fait les démarches nécessaires auprès du Ministère des Anciens combattants, avec l’aide de notre ami Guiorah Markovicz de Paris. Un an plus tard, la croix a été remplacée par un Magen David et le nom de mon frère a été rectifié.
Je vis jusqu’aujourd’hui au Kibboutz Hatzor avec toute ma famille et ma soeur Rachel vit à Jérusalem.
J’y vivrai toujours dans la « Mémoire » et le Souvenir.
Date de dernière mise à jour : Lun 06 mai 2024
Commentaires
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- 1. Finkelstein Jean-Francois Le Sam 30 déc 2017
Bonjour,
votre témoignage est émouvant. J'ai été touché par vos souvenirs du château du Masgelier. Mon père Maurice y était réfugié de juillet 1940 à décembre 1943 avant d'aller en Suisse. J'ai découvert son parcours tardivement et je me demandais comment il avait vécu ses années d'enfant caché.
Cordialement.-
- Dominique LENGLETLe Ven 09 fév 2018
Bonjour, Merci de vos encouragements j'ai transmis à la famille Kawibor et leur ai envoyé le lien vers votre propre site. cordialement
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