Cetait au temps ...

Edmond Guérineau et Berthe Delépine

Pour ce chapitre, je cède volontiers la plume à mon cousin Jean‑François Guérineau, qui saura bien mieux que moi évoquer ses parents.

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Edmond, presque breton

Edmond Auguste Lucien Guérineau naît le mardi 6 février 1917 à Saint‑Barthélemy‑d’Anjou, au Bourg, dans la maison d’Alexis Leloup, propriétaire et grand‑oncle du nouveau‑né. Alexis est en effet le frère de Marie Madeleine Leloup, la grand‑mère paternelle du nouveau-né.

Ses parents, Edmond Lucien Guérineau et Berthe Marie Jeanne Lerat, étaient très jeunes – dix‑neuf et vingt‑quatre ans – compte tenu de la mobilisation du père et des bouleversements de la guerre, ils n’ont pas eu le temps de réellement s’installer ensemble. Lors de la déclaration de naissance, deux témoins apposeront leur nom au registre : Alexis Henri Leloup, et sa fille Marie Henriette Leloup, veuve Dubreuil, cousine de l’enfant.  

À peine le souffle de la vie s’installe-t-il dans ses poumons qu’un autre souffle, celui de son père, s’affaiblit au loin, dans l’ombre des Vosges. A peine six semaines après la naissance d’Edmond, le 21 mars 1917, Edmond Lucien Guérineau son père s’éteint, terrassé par une maladie contractée en service, dans un hôpital militaire à Rouceux. A t'il seulement su qu'un fils lui était né ? 

Berthe, jeune veuve avec son nourrisson, quitta alors Saint‑Barthélemy pour se réfugier à Nantes, chez Augustine Bigaud, veuve de Joseph Louis Toussaint Fortun, grand‑tante maternelle, au 3 rue Lafayette.

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Quelques années plus tard, le 23 juillet 1919, Berthe Marie Jeanne se remarie avec Marcel Grasset.

Marcel est né le mercredi 30 mai 1894 à Nantes. Enfant doué pour les arts, il  entre à l’École des Beaux‑Arts de Nantes à l’âge de douze ans pour n'en sortir que huit années plus tard, lorsque l’armée l’appelle le 7 août 1916.

Lorsqu’il épousa Berthe, il porte l’uniforme de sergent, décoré de la croix de guerre et est toujours mobilisé.

Le couple s'installe au 8, rue de la Ville‑en‑Bois à Nantes, dans la maison familiale des Grasset, où l’on exerçait le métier de doreur et décorateur.

De cette union naîtra, le mercredi 15 juin 1921 à Nantes, une petite fille : Marcelline Augustine Aimée Edmonde, qui épousera plus tard Léon Delépine.

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Marcel, consciencieux, informait l’armée de ses déménagements. Ainsi, le 9 décembre 1919, il déclarait encore habiter au 3, rue Lafayette à Nantes. Le recensement de 1921 à Nantes (avril-mai) est révélateur :
— Fortun Augustine, née en 1854 à Nantes, veuve et chef de ménage, sans profession.
— Guérineau Edmond, né en 1917 à Saint‑Barthélemy, présenté comme son petit‑fils.
— Lerat Marie, née en 1897 à Orvault, domestique chez Augustine, sœur de Berthe.
On devine ici un geste du cœur : Augustine, peut‑être, considérait Berthe comme sa propre fille. Berthe et Marcel ne figurent pas sur cette liste. À cette date, Berthe s’apprêtait à accoucher de Marcelline, née le 15 juin 1921 à Nantes, section de Chantenay, sans doute chez les Grasset qui avaient alors quitté la rue de la Ville‑en‑Bois.

Le parcours de la famille Grasset‑Guérineau dessine de jolis méandres. Le 3 novembre 1924, Marcel déclara habiter à Saint‑Père‑en‑Retz, Edmond avait alors sept ans. Deux ans plus tard, au recensement de 1926, toute la famille figurait bien à Saint‑Père : Marcel y était déclaré peintre et patron, habitant place de l’Église. Berthe restait sans profession et Edmond, privilégié, n’allait pas à l’école du village mais recevait l’enseignement d’un précepteur.

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Le 29 avril 1929, Marcel déclare résider à Saint‑Michel‑Chef‑Chef, au Redois, villa Saint‑Luc. Edmond y a fait sa communion solennelle en 1928. Au recensement de 1931, la famille est toujours à Saint‑Michel‑Chef‑Chef et Augustine, âgée de soixante‑dix‑sept ans, les a rejoints : elle ne pouvait plus vivre seule à Nantes. Edmond, désormais adolescent, est apprenti peintre chez son beau‑père Marcel.

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Le 12 décembre 1931, le tribunal civil de Paimbœuf accorde à Edmond le titre d’« adopté par la Nation », sur la demande de sa mère.

Il fête ses dix‑huit ans en février 1935 et s’engage le 1er mars pour cinq ans dans l’armée de terre. Mais le 7 juin 1935, son engagement est annulé, vraisemblablement à la demande maternelle, et il revient à Saint‑Michel.

Augustine s’éteint le mardi 26 mai 1936, à Saint‑Michel‑Chef‑Chef, à l’âge de quatre‑vingt‑deux ans. On l’inhuma à Nantes, auprès de son époux, au cimetière de la Miséricorde.

Edmond poursuit alors sa route....

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 Le 20 octobre 1937, il est incorporé au 7e régiment de tirailleurs algériens. D’abord classé en service auxiliaire, il embarque à Marseille le 27 octobre 1937 sur le Gouverneur Général Lépine, et débarque le lendemain à Philippeville. Sur sa demande, il est reclassé « bon pour le service armé » par la commission de Constantine le 26 septembre 1939. Le 20 juin 1940, il est nommé sergent. Il est démobilisé le 10 septembre 1940 à Constantine, quitte Philippeville le 11 septembre et débarque à Marseille le 13.

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La Défense Passive

Souvent absente des programmes scolaires et des manuels d’histoire, la Défense passive a pourtant joué un rôle essentiel dans la protection des civils durant la Seconde Guerre mondiale. 

Dans toutes les communes de plus de 2 000 habitants, il fut alors exigé la constitution d’une brigade locale chargée d’assurer la protection des populations en temps de guerre. Son rôle était multiple :
– organiser des systèmes d’alerte (sirènes),
– prévoir des réseaux souterrains (caves, abris, tranchées),
– et surtout informer les civils par affiches, annonces radiophoniques et consignes pratiques, notamment en cas de bombardements.

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De retour à Saint‑Michel, Edmond reprend son métier de peintre auprès de Marcel Grasset. Durant l’Occupation, il s’engage dans la défense passive ; son laisser‑passer lui permet de glaner des renseignements qu’il transmettra ensuite à la Résistance. Il rejoindra les FFI.

Le mercredi 28 mai 1941, à Orvault, décède Pierre Marie Joseph Lerat, le grand‑père maternel d’Edmond, à l’âge de soixante‑quatorze ans.

Cette même année 1941 est marquée, en Loire‑Atlantique, par des événements tragiques : l’assassinat du Feldkommandant Karl Hotz à Nantes le 20 octobre 1941 entraîne, deux jours plus tard, l’exécution de cinquante otages, le 22 octobre 1941.

C’est dans ce contexte que, la même année, Edmond rencontre Berthe Delépine, réfugiée avec sa famille à Tharon-Plage, depuis le 16 juin 1940 dans la villa Ker Gatus. 

 

Une fille du Nord

Berthe est la fille d’Eugène Delépine, brodeur devenu agent d’assurances, et de Marie Antoinette Lefort. Elle est née au printemps 1923 à Montigny‑en‑Cambrésis, dans le Nord, deuxième enfant d’une fratrie qui comptera trois garçons et  six filles. Aînée, elle se voit très tôt confier la garde et l’éducation de ses jeunes frères et sœurs, ce qui nourrit chez elle un rêve d’enfant : devenir institutrice.

Mais la guerre, on le sait, ne fait guère de place aux projets. Les rêves de Berthe se brisent comme tant d’autres à cette époque. Pourtant, la jeune fille gardera toujours cette aptitude à donner et à protéger : plus tard, elle apportera du bonheur autour d’elle en devenant famille d’accueil pour des enfants placés par la DDASS.

Les Delépine vivaient à Clary, un petit village du Cambrésis. Lors de l’été 1940, un ancien camarade d’Eugène – rencontré durant la Grande Guerre et resté en contact – leur prête la vilde vacances de sa famille à Tharon, en Loire‑Inférieure. C’est ainsi que, le 16 juin 1940, la famille Delépine, qui avait gardé en tête le terrible souvenir du premier conflit, quitte son Nord natal pour se réfugier à Ker Gatus, à Tharon‑Plage. 

C’est dans ce contexte d’accueil, loin de son Cambrésis natal, que Berthe croise la route d’Edmond Guérineau. La jeunesse et l’entraide d’un village côtier en guerre tissent des liens nouveaux. De cette rencontre naît un couple qui va, malgré les années noires, tracer son propre chemin.

 

Léon Berthe Marcelle

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Le lundi 21 septembre 1942, Edmond Guérineau, âgé de 25 ans, épouse à Saint‑Michel‑Chef‑Chef Berthe Delépine, alors âgée de 19 ans. La cérémonie religieuse a lieu dans l’église du village.


Un détail amusant  ne peut manquer de nous faire sourire : après Edmond père qui avait épousé une Berthe (Lerat), voici Edmond fils qui épouse à son tour… une Berthe !

La photographie de mariage témoigne d’une cérémonie célébrée avec soin et éclat, malgré les restrictions et les incertitudes de l’époque. Les familles avaient manifestement mis tout leur cœur pour offrir aux jeunes époux un jour digne d’être gravé dans les mémoires.

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Mariage berthe 1

Mariages berthe edmond

Leur premier enfant, Jean‑Pierre Marie Luc, vient au monde le lundi 18 octobre 1943 à Pornic.

Sur cette photographie de 1947, il  pose très sérieusement devant l’objectif. Il a tout juste quatre ans. Sa tenue, aujourd’hui un peu surprenante, amuse et attendrit : une sorte de barboteuse longue, le petit gilet sagement boutonné,  typique des habits d’enfants de l’après‑guerre, soigneusement choisis pour marquer l’occasion.

Le décor de studio, la table recouverte d’une nappe et le bouquet de fleurs ajoutent à la solennité de la scène et le livre qu'il tient en main témoigne des grands espoirs que ses parents projettent sur son avenir, symbole d’éducation et de promesse d’un futur meilleur.

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Alors que la guerre n’est pas terminée, Edmond reprend du service. Il se réengage pour la durée de la guerre le 13 janvier 1945 devant l’Intendant Militaire de la place de Nantes, avec effet rétroactif au 1er septembre 1944, au titre de la cavalerie motorisée. Incorporé ce même 13 janvier 1945 au 1er régiment de hussards, il est ensuite affecté au 6e régiment de cuirassiers le 8 août 1945. Sa valeur et son expérience lui valent d’être nommé maréchal des logis‑chef le 1er septembre 1945. Durant cette période, Edmond est chef de char. Il partage son quotidien entre la guerre et sa toute jeune famille, dans l’espoir d’un retour à une vie paisible.

Une photographie de 1945 illustre bien cette période.

On y voit Edmond, en uniforme de soldat, debout au premier rang, tenant dans ses bras son petit Jean‑Pierre encore tout jeune. À ses côtés se tient Berthe, élégante malgré les circonstances, posant fièrement devant le blindé. Derrière eux, d’autres soldats du régiment se tiennent sur et autour du char, visiblement en pause après une mission.

 

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Parmi les souvenirs de cette période figurent les insignes et médailles qu’Edmond rapporta de son engagement.
Ci contre, on distingue fièrement l’insigne des FFI, aux ailes déployées encadrant la carte de France, symbole de la Résistance intérieure française.

S’ajoutent les insignes de son unité, notamment celui du 1er Groupe Mobile de Reconnaissance de l’escadron Besnier, portant la devise évocatrice : « Prendre et Tenir » et celui évoquant la libération de Saint‑Nazaire : « Ces va‑nu‑pieds superbes ».

Enfin, Edmond reçut la Médaille commémorative de la guerre 1939‑1945, dont l’avers porte l’effigie de la République française et le revers l’inscription rappelant la France en guerre.

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La paix revenue, Edmond raccroche l’uniforme et reprend son métier de peintre, retrouvant l’atelier familial et un rythme de vie plus serein. C’est dans ce contexte de reconstruction, au fil des jours plus calmes et des projets d’avenir, que la famille s’agrandit peu à peu. Viendront deux autres fils : Jean‑François, né en 1947, puis Jean‑Jacques, en 1953.
Les années passent. Berthe et Edmond vivent alors tout près de Léon et Marcelline, ce qui entretient une belle proximité familiale. Un autre membre de la fratrie Delépine, Sylvain, vient lui aussi s’installer en Loire‑Atlantique. Les frères et sœurs de Berthe, bien qu’éloignés, viennent souvent en visite pendant les vacances : les liens ne se sont jamais rompus.

Et, en bonne fille du Nord, Berthe a toujours à cœur d’offrir « un bon jus » à ses visiteurs — cette manière bien de chez nous de désigner le café, servi avec générosité et chaleur.

En 1959, un drame frappe la famille de plein fouet : Jean‑Pierre, l’aîné des garçons, s’éteint à seulement seize ans, emporté par une leucémie qui, à l’époque, ne se soigne pas encore. La douleur est immense, mais c’est sa foi profonde qui permettra à Berthe de ne pas sombrer dans le désespoir.

La vie poursuit malgré tout son cours. En 1970, le couple a la joie de marier leur fils Jean‑François. Mais à peine un an plus tard, presque jour pour jour, le 2 juillet 1971, Edmond s’éteint à son tour, après une longue et douloureuse maladie. Il n’a que 54 ans et n’aura pas eu la chance de connaître ses petits‑enfants. Berthe continue alors seule le chemin. Courageuse, elle passe son permis de conduire pour gagner en autonomie, tandis que le dernier de ses fils quitte bientôt la maison pour s’établir en Suisse et poursuivre ses études.

Elle, qui possédait une voix extraordinaire, pleine de clarté et d’émotion, restera active au sein de sa paroisse et chantera longtemps dans la chorale locale.
Peu à peu, cependant, ses enfants constatent qu’elle est atteinte par cette maladie qui a touché plusieurs membres de la fratrie Delépine : Alzheimer. Lorsqu’elle perd son autonomie, elle quitte son domicile pour une maison de retraite de Nantes
Elle s’y éteint paisiblement le 20 mars 2006.

Jean pierre jean francois jean jacques communion jp 05 06 1955

 

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Date de dernière mise à jour : Sam 26 juil 2025

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