La garde meurt...
"Toute ressemblance avec des faits et des personnages existants ou ayant existé n'est absolument pas fortuite !"
Chaque 3ᵉ samedi du mois, je participe au Rendez-vous ancestral, un défi d’écriture où l’on remonte le temps à la rencontre d’un personnage présent dans notre arbre généalogique. Une fiction basée sur des données réelles. Pour m’y aider, j’ai créé, voici deux ans, le personnage d’Osyne, chroniqueuse pour la gazette Cetaitautemps.
Mon moyen de transport ? Ce petit pot en verre et métal, du XIXe siècle, autrefois confiturier ou sucrier, aujourd’hui mon fidèle "Portoloin". Tel la lampe d’Aladin, il me relie à mes arrière-grands-parents et m’ouvre la porte du passé.
Voyage à Nantes
Fin 2020, entre épidémie interminable et Brexit, l’actualité est lourde. Les Anglais disent « M---- » à l’Europe. C’est l’hiver, et j’ai troqué mon bureau pour le séjour, rêvassant devant l’écran, l’esprit à moitié engourdi par la douceur de la cheminée. Je pense aux enfants, les « PETITS-LU » que nous n’avons pu serrer dans nos bras à Noël. [Nous les appelons ainsi parce qu’ils vivent à Nantes.] Je ferme les yeux… et me laisse emporter vers mon premier Rendez-vous ancestral de l’année.
Je reprends pied à Nantes, quai de la Fosse, à voir les tenues vestimentaires, nous sommes au XIXe siècle. Je connais bien les lieux : les enfants ont habité à quelques centaines de mètres. Je remonte la rue Jean-Jacques Rousseau jusqu’au numéro 3. Je devine déjà qui je vais rencontrer : « Mary et Pierre » — quelle familiarité ! Mais nous sommes parents, après tout.
Quel jour sommes-nous ? Un kiosque à journaux m’apprend que nous sommes le 16 janvier 1842. On m’introduit dans une antichambre : « Madame va vous recevoir. ». Je dispose de quelques secondes, juste le temps pour moi de prendre une photo en toute discrétion.
Bientôt, une petite femme menue, élégante, vêtue de noir, les cheveux blancs tirés en chignon, me rejoint et m’invite à passer au salon. C’est Mary Osburn, vicomtesse Cambronne.
Rencontre avec Mary
Je me présente et résume brièvement la filiation qui nous unit : « Pierre Jacques Étienne Cambronne m’est apparenté à la 10e génération, par le couple Barbe Masselle et Adrien Druon, de Busigny dans le Nord ».
Bien que né à Nantes, ses origines plongent dans les Hauts-de-France, anciennement Picardie et Nord. Son père, Pierre Charles (1738–1784), est né à Saint-Quentin, dans l’Aisne.
Au début du XVIIIe siècle, les Cambronne, courtiers en toiles, commercent avec les négociants nantais. Ces liens deviennent si étroits que le grand-père de Pierre s’installe à Nantes en 1741 pour y représenter la maison de Saint-Quentin.
Sa mère, Françoise Adélaïde (1742–1819), est une Druon née à Noyon, dans l’Oise. Leur patronyme, transformé en « Druon de Brusneau », évoque la chaussée Brunehaut, ancienne voie romaine vers la Belgique. Ce changement de nom, fruit du temps et peut-être d’un certain snobisme, apparaît avec Charles Druon (1700–1778), grand-père maternel de Pierre. Né à Busigny, dans le sud du Cambrésis, ce juriste anobli épouse Marie Louise Frassen en 1726 et exerce à Noyon comme « conseiller du roi en l’élection ». Sa famille, issue de la bonne bourgeoisie ou de la petite noblesse du Vermandois, compte des baillis et des greffiers.
Mary excuse l'absence de son mari, souffrant d’un rhume. « Il se repose et ne pourra vous recevoir aujourd’hui. » Elle me propose un thé, accompagné d’une part de gâteau nantais parfumé au rhum. « Permettez-moi d’évoquer quelques souvenirs, » dit-elle. « Mon époux est une légende vivante, et sa vie un roman d’aventures, souvent enjolivé par la rumeur. »
Pierre Cambronne
Pierre Jacques Étienne Cambronne naît le 22 décembre 1770 à Nantes, près du pont de Belle-Croix, là où se dressait autrefois la maison de Gilles de Rais. Il grandit à « La Treille », la villa familiale de Saint-Sébastien-sur-Loire, et est baptisé à l’église Sainte-Croix. Deuxième d’une fratrie de six, il devient l’aîné après la mort de sa sœur et de son père en 1784. Élève au collège des Oratoriens, il y brille moins par ses études que par son tempérament fougueux : « Pierre Cambronne se distingue par une ardeur peu commune pour les jeux bruyants, les luttes et les simulacres de combat, » rapportent ses maîtres. À 18 ans, il quitte l’école, sa mère espère qu'il reprendra l’entreprise familiale, mais c’est l’uniforme qui l’attire. Il s’engage à 22 ans, le 27 juillet 1792.
Fougueux, intrépide, il gravit rapidement es échelons militaires, fidèle à Napoléon jusqu’à l’île d’Elbe. « Et puis vint Waterloo… » Mary baisse la voix. « Le 18 juin 1815, cernés par Wellington et Blücher, les bataillons de la Vieille Garde refusent de céder. Face au général Colville, Pierre aurait lancé : « La Garde meurt, elle ne se rend pas ! » Colville aurait insisté et c’est alors que Cambronne lui aurait répondu d'un court mais clair : « Merde ! »
L’anecdote, amplifiée par la presse et la Chambre des députés, masque une réalité moins glorieuse : la Garde s’est rendue. Blessé, Cambronne est capturé et emprisonné en Angleterre.
Un sourire malicieux se dessine sur les lèvres de Mary
« À son retour en mai 1816, il s’installe chez sa mère, au manoir de la Tullaye. Qui mieux que leur voisine, Mrs Ann Mary Osburn, veuve et ancienne infirmière, pour veiller sur lui ? » Françoise Druon Cambronne meurt en 1819, non sans avoir obtenu de Pierre et Mary, la promesse d’un mariage. Le couple s’unit civilement le 10 mai 1820 à Saint-Sébastien, puis religieusement le 22 juillet à Noyon — Mary étant protestante, une dispense fut nécessaire.
« Pierre a toujours nié la première phrase, » précise-t-elle. « “Je n’ai pas pu dire : ‘La Garde meurt’, puisque je ne suis pas mort et que je me suis rendu.” Mais comment lutter contre Victor Hugo ? » Dans Les Misérables (1862), l’écrivain immortalise le « mot » de Cambronne : « L’homme qui a gagné Waterloo, c’est Cambronne. Foudroyer d’un tel mot le tonnerre qui vous tue, c’est vaincre. »
Un autre témoignage du chanoire Eugène Peigné nous livre une autre version qui laisse à penser que Pierre Cambronne avait fini par prendre goût à sa légende et n'hésitait pas à l'entretenir. Son père, qui voyait souvent Cambronne comme voisin et l'aimait beaucoup, lui avait posé la question :
- mon général, est-il vrai que vous ayez prononcé, à Waterloo, les paroles qu'on vous a prêtées : "la garde meurt et ne se rend pas " ?
Cambronne répondit :
- "Un soldat n'a pas l'idée de prononcer de telles paroles, surtout, quand il est sur le champ de bataille. Je n'ai pas dit cela ; j'ai tout simplement répondu à celui qui me demandait de me rendre : «va te faire f.» Voilà une exclamation suffisamment militaire et bien en situation !"
Il est temps de prendre congé. Mary regrette que je ne puisse rencontrer Pierre aujourd’hui. « Revenez au printemps, sa santé s’améliorera. » Je sais qu’il n’en sera rien : le général mourra le 29 janvier 1842. Mais je garde le silence, ému par cette rencontre avec l’Histoire — et par le gâteau nantais, délicieusement intemporel.
Article présenté dans le cadre du Géneathèmes d'octobre 2025
Cousinages avec des personnages historiques, des célébrités contemporaines ou des personnalités régionales : à vous de choisir qui sera le personnage central de votre article.


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Date de dernière mise à jour : Mar 21 oct 2025
Commentaires
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- 1. aev Le Mer 09 août 2023
"Pierre" Jacques Etienne Cambronne. m'est apparenté à la 10è génération, par le couple Barbe Masselle x Adrien Druon.
Merci pour votre article !
Je découvre avec plaisir que ce couple fait partie de mes ancêtres également ! (je descends de Jean Antoine et Adrien, leurs 2 fils aînés)
Ce couple fait également partie des ancêtres du peintre Henri Matisse et le l'actrice et chanteuse lyrique Yvonne Printemps :-) -
- 2. Vandebeuque Marie Jo Le Dim 17 jan 2021
Mille mercis pour ce récit si intéressant ! Je ne connaissais pas l’histoire des Petits LU ! Cela m’a donné envie de me replonger dans mes racines St Quentinoises ! ( Magnier-Maillot ) Bonne journée -
- 3. Catherine Livet Le Sam 16 jan 2021
Il n'est pas donné à tout le monde de cousiner avec un homme rendu célèbre pour un seul mot ! Trêve de plaisanteries, c'est un rendez-vous très instructif. -
- 4. Christelle Le Sam 16 jan 2021
Voici un cousin célèbre et plein de panache ! Et surtout un RDVAncestral très instructif. -
- 5. Bruneau Christiane Le Sam 16 jan 2021
Pour un premier RDV, c'est de main de maître que tu te débrouille.... Bravo.... juste une remarque, les nantais ne disent pas la rue JJ Rouseau.... mais simplement la rue Jean Jacques ....
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