Cetait au temps ...

Général Guy Delfosse (1925-1984)

Le general de division guy delfosse 58 ans avait pris son poste a lyon durant l ete qui precedait il commandait la 5e region de gendarmerie photo fournie par la gendarmerie 1711487

Dans un monde où les héros semblent disparaître et où les valeurs s’effritent, j’ai voulu redonner vie à l’histoire de Guy Delfosse.

Parce que son parcours, cent ans après sa naissance, demeure un modèle de fidélité, de courage et d’humanité.

Et parce que, plus que jamais, nous avons besoin de repères.

L'enfant du devoir

Il y a un peu plus de quarante ans, un souffle glacé traversa Bertry.

La nouvelle, relayée par les médias, parvint d’abord en bribes, chuchotée, puis confirmée : le général Delfosse venait d’être abattu à Lyon.

L’effet de sidération fut immédiat. Dans chaque foyer, on se précipita vers la radio ou la télévision, comme frappé d’incrédulité, cherchant désespérément des précisions.

Un fils du village venait de tomber, et cette mort, violente et injuste, résonnait comme un coup porté à tous. À Bertry, ce n’était pas le général Delfosse qui était mort, mais Guy, le fils d’Arthur. Sous les médailles et les uniformes, il restait avant tout un enfant du pays — l’un de ceux qui avaient grandi entre le clocher et les écoles, avant de porter au loin les valeurs de courage et de devoir.

Pour les jeunes générations, son nom n’est peut-être plus qu’une rue, une plaque de granit au détour du cimetière. Mais pour ceux qui l’ont connu, ou simplement entendu évoquer par leurs aînés, Guy Delfosse était un visage, un nom prononcé avec respect, un exemple d’ascension et de droiture.

Il faisait partie de ces hommes dont on pouvait dire, sans hésiter : « Il a fait honneur au village. »

Cent ans après sa naissance, le 29 novembre 1925, l’émotion, elle, reste intacte.

Les Delfosse ne sont pas, à l’origine, une vieille famille bertrésienne. Le premier ancêtre à s’installer à Bertry fut Jean-Baptiste Delfosse, né en Belgique vers 1828. Il arriva dans le Nord de la France lors de la grande vague d’émigration belge, une période où de nombreuses familles traversaient la frontière pour trouver du travail. 

Jean-Baptiste devint cantonnier aux chemins de fer du Nord, un métier stable et respecté, symbole de la France industrielle en pleine modernisation. En 1860, il épousa à Bertry Virginie Rosalie Lenglet, une fille du pays. Cette union marqua l’enracinement définitif de la famille dans le Cambrésis. (Pour la petite histoire, les Delfosse me sont donc apparentés par les Lenglet, mais aussi par les branches maternelles Tamboise de Montigny !)

De leur mariage naquirent cinq enfants, dont Auguste Delfosse, qui fit choix de s’établir un région parisienne au début du XXe siècle, et  Paul, qui resta au village et y fonda à son tour une famille. C’est de lui que descendent Arthur Delfosse (le père du général) et son frère Georges, aviateur mort tragiquement en 1923.

Les racines du courage

Chez les Delfosse, le mot devoir n’était pas une abstraction. Il coulait dans les veines comme une évidence, héritage transmis de génération en génération.

Le père, Arthur Delfosse, s’était engagé à vingt ans, en 1912, pour trois ans. Puis la guerre éclata. À l’issue du conflit, il était adjudant, décoré, marqué par six années de front. Il reprit du service après l’Armistice, se maria entre deux affectations, et prolongea encore son engagement. Au total, quinze années sous l’uniforme, avant de quitter l’armée en 1927.

L’année suivante, la famille revint s’installer définitivement à Bertry : un retour aux sources. C’est là que grandirent ses enfants — Ginette, Guy et Jacques —, sous le regard bienveillant de leur tante Pauline, institutrice du village, et dans l’ombre des disparus :

Le petit cousin André Delfosse, « Mort pour la France » à Verdun en 1916.

L’oncle Georges Delfosse, pionnier de l’aviation, mort en 1923 lors d’un entraînement près de Châteauroux.

Ces figures héroïques, marquées par le service et le sacrifice, tracent dès l’enfance le destin de Guy, né deux ans après la disparition de son oncle — celui-là même qui lui légua son second prénom.

Regiment alfred

 

L'enfance d'un fils du devoir

De vieilles photos de groupe témoignent encore de son enfance à Bertry : Celle des Petits Chanteurs à la Croix de Bois, dirigés par l’abbé Pottier, où Guy, en soutane blanche, chante avec un regard sérieux et appliqué. Ou cette autre, prise en 1934 dans la classe de M. Taine, probablement lors d’une fête scolaire ou de fin d’année. Les élèves y posent, fiers, en costume marin, col empesé et béret bien droit — une escouade miniature, presque déjà en uniforme. Un joyeux présage, qui annonce sans le savoir le destin du petit Guy.

Élève studieux, Guy Delfosse se distingue rapidement. Sous l’œil à la fois exigeant et bienveillant de ses instituteurs, il cultive ce goût de l’effort et de la rigueur qui ne le quittera plus. En 1937, à seulement 12 ans, il décroche le premier prix cantonal du certificat d’études, une fierté pour sa famille et pour l’école de Bertry. Puis, il quitte son village, ses proches et ses amis pour intégrer l’École d’Épinal en tant qu’enfant de troupe.

 

Ecole bertry

Ce choix, qui peut paraître précoce aujourd’hui, s’inscrivait pourtant dans la logique de l’époque : À 12 ans, on obtenait le certificat d’études, mais c’était aussi l’âge de la communion solennelle — ce moment charnière, à la fois spirituel et social, où l’enfance s’achève. L’école n’étant pas encore obligatoire jusqu’à 14 ans, c’était l’heure des décisions : entrer dans la vie active, apprendre un métier, ou, plus rarement, partir se former ailleurs. Guy, lui, emprunte une voie différente : celle du service et de la discipline. Son départ semble déjà porter en lui une vocation, ou peut-être l’héritage silencieux d’un nom, d’un exemple et d’un devoir à perpétuer, comme un flambeau qu’on se transmet. Servir. Instruire. Protéger.

Lors de ses retours au village pendant les vacances, il n’oublie jamais ses camarades. Toujours organisé, enthousiaste et rassembleur, il improvise des camps scouts, des journées d’aventure dans les alentours de Bertry. On le voit déjà à la tête d’un groupe, veillant sur les plus jeunes, donnant des consignes avec cette autorité naturelle qui, plus tard, deviendra sa marque de fabrique.

L'homme, l'époux, le père.

On retient souvent de Guy Delfosse l’image du général en uniforme, droit, le regard clair et le port altier. Pourtant, avant tout, il fut un mari et un père, un homme de famille pour qui le sens du devoir n’a jamais étouffé la tendresse.

C’est par l’intermédiaire de sa sœur Ginette, alors élève à l’École normale de Bourges, qu’il rencontre Geneviève Caquin, elle aussi future institutrice. À cette époque, Guy est jeune élève officier à Saint-Cyr. Les échanges entre les étudiants de Saint-Cyr et les normaliennes sont fréquents, souvent sous forme de correspondances amicales, héritières d’une tradition née pendant la Grande Guerre : celle des « marraines de guerre ». Ces jeunes femmes écrivaient aux soldats pour leur offrir soutien, nouvelles du pays, amitié et réconfort. Après la guerre, cette coutume persiste, plus légère, parfois amicale, parfois amoureuse.

C’est ainsi que Guy, grâce à sa sœur et à ses camarades, entre en contact avec Geneviève. Leurs lettres s’échangent d’abord avec pudeur et malice, puis deviennent plus personnelles, plus confiantes. De ces mots partagés naît une affection sincère, puis un amour profond. Ce qui n’était qu’un lien épistolaire se transforme en une promesse d’avenir.

 

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Ils se fiancent en 1946, unis par des mois de confiance et de complicité. À son retour d’Indochine, ils se marient. Geneviève quitte alors sa classe pour le suivre aux quatre coins du monde, au gré des affectations de son époux.

Les premières années de leur vie commune se déroulent en Algérie, à Philippeville, où naissent leurs deux filles, Nicole et Guylaine, au tournant des années 1950.

Puis viennent d’autres horizons : Madagascar, Tananarive, la Vendée, le Nord, la Provence… Chaque mutation est une nouvelle aventure, un nouvel équilibre à trouver, mais toujours avec la même unité de cœur.

Dans les logements de fonction, malgré les déménagements incessants, Geneviève recrée à chaque fois un foyer : une table accueillante, des livres, des photos accrochées au mur. De cette vie nomade naît un troisième enfant, Hugues, et une famille unie par la fidélité plus que par les murs.

Pendant que Guy repart en mission outre-mer, Geneviève reste en France avec leurs enfants. Elle affronte seule les séparations et l’incertitude, élevant les enfants au rythme des lettres venues de loin. De son côté, le soldat porte cette absence avec une pudeur résignée : la distance fait partie de son engagement, mais elle pèse sur son cœur.

Entre la vie militaire et la vie familiale, chacun trouve, à sa manière, un équilibre fragile, tissé de patience, de confiance et d’attente partagée.

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L'officier

Formé dans les écoles militaires, Guy Delfosse passe par Cherchell, en Algérie. Ce centre d’instruction, où se forge à la fin de la Seconde Guerre mondiale une génération d’officiers français, marque le début d’une carrière exemplaire. Il s’y distingue rapidement, avant de s’illustrer dans les missions les plus exigeantes de l’après-guerre.

Officier parachutiste, il est déployé au Tonkin, dans le nord de l’actuel Viêt Nam, alors sous domination coloniale française. Cette région montagneuse, traversée par le fleuve Rouge, est l’un des foyers les plus violents du conflit d’Indochine : un territoire de rizières et de villages, où la France, après 1945, tente désespérément de préserver un empire en déclin. Pendant plusieurs années, Guy Delfosse y sert dans des conditions extrêmes — chaleur étouffante, fièvres tropicales, embuscades quotidiennes. C’est là, sur le terrain, qu’il forge les principes qui guideront toute sa carrière : la solidarité entre soldats, l’obéissance éclairée, et le poids des décisions quand des vies sont en jeu.

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Après l’Indochine, sa carrière se poursuit en Afrique du Nord — à Philippeville, puis en Tunisie et à Madagascar —, à une époque charnière où la France redessine sa présence outre-mer. Son parcours le conduit ensuite vers la gendarmerie, où il prend successivement la tête du centre d’instruction des gendarmes auxiliaires à Auxerre, de la Légion de gendarmerie PACA, puis de la région de Rennes.

En 1983, promu général de division, il est nommé à Lyon pour diriger la région de gendarmerie du Rhône. Ceux qui l’ont connu se souviennent d’un homme intègre, exigeant, mais profondément humain : un chef respecté parce qu’il savait, avant tout, respecter ses hommes.

1984 - le drame

Le 27 mars 1984, à Lyon, le général Delfosse se rend à pied à une agence bancaire, rue Victor-Hugo. Deux hommes font irruption : des membres du groupe terroriste Action directe. Le général tente de s’interposer pour raisonner les braqueurs. Il est abattu à bout portant. Cinq balles mettent fin à la vie d’un homme de devoir.

À Bertry, Pauline Delfosse, sa tante, l’institutrice tant aimée, s’effondre en apprenant la nouvelle. Hospitalisée à Cambrai, elle succombe à une crise cardiaque quelques jours plus tard.

Les jours qui suivent sont chargés d’émotion. Une première cérémonie solennelle, en présence des plus hautes autorités civiles et militaires, se tient à la cathédrale de Lyon, devant une foule de gendarmes venus lui rendre un dernier hommage. Puis le convoi funéraire quitte la ville pour rejoindre Coust, ce village du Cher où le général avait choisi de vivre sa retraite et d’établir sa dernière demeure. C’est là qu’il repose désormais, dans la sérénité du cimetière communal.

Quelques jours plus tard, Bertry se rassemble à son tour pour les funérailles de Pauline Delfosse. La cérémonie, sobre et émouvante, devient aussi un hommage au neveu disparu, à ce fils du pays que beaucoup n’avaient pu accompagner jusqu’à Lyon.

Mémoire vivante

Depuis, Bertry n’a rien oublié.

Une rue porte, depuis les années 90,  le nom du général Delfosse, rappel discret mais constant de ce qu’il incarna : le courage, la loyauté, la fidélité à la parole donnée.

Au cimetière familial, une plaque de granit scelle à jamais la mémoire du général et de sa tante Pauline, l’institutrice, emportée par le chagrin quelques jours après lui.

« 27 mars à Lyon, 7 avril à Bertry :

ces dates réuniront vos noms à jamais.

Votre conscience aiguë du devoir,

votre politesse simple et naturelle,

ont conquis le cœur des Bertrésiens.

Nombreux sont ceux venus prier,

en hommage à l’exemple laissé à leurs enfants.

Merci, Guy. Merci, Pauline. »

Quarante ans ont passé, et le souvenir, lui, demeure intact.

Quelques lignes sobres, sans emphase, qui disent l’essentiel : la fierté, la douleur, la gratitude.

À travers elles, c’est tout un village qui s’exprime — celui qui l’a vu naître, grandir, partir, puis revenir dans la mémoire collective.

Et quand les passants s’arrêtent devant cette pierre, ils n’y lisent pas seulement deux noms, mais une leçon de vie et de droiture, transmise en silence, de génération en génération.

Guy Delfosse, jusqu’à son dernier souffle, a vécu selon les devises qui guidaient sa vie :

celle des parachutistes — « Vaincre ou mourir » —

et celle de la Gendarmerie — « Pour la Patrie, l’Honneur et le Droit ».

Date de dernière mise à jour : Mer 22 oct 2025

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