Cetait au temps ...

Ferdinand Lansiaux (1852-1874)

10 mai 1872.

Ferdinand ouvrit les yeux sur une lumière encore pâle. Le jour perçait à peine à travers les volets de bois, projetant des lignes obliques sur les murs nus de la chambre. Il se redressa lentement. La maisonnée s’éveillait. Dans la cuisine, il entendait sa mère s’activer, tandis que la cadence de métronome de « ch’l’otil » l’invitait à se lever prestement pour rejoindre le métier à tisser.

Il fut debout d’un bond. Aujourd’hui n’était pas un jour comme les autres. Il avait vingt ans. Il n’était plus un garçon et il n’était pas encore tout à fait un homme. Avec son mètre soixante-neuf, ses cheveux blonds et ses yeux bleus il ne laissait pas les filles indifférentes, lui aussi ressentait les bonheurs et tourments des fréquentations amoureuses, mais le temps des amours n’était pas venu. Avant tout, il était un conscrit.

Il savait lire, écrire, compter, et cela le distinguait de bien des jeunes gens du village. Cela lui servirait-il pour ce qui l’attendait ? Prochainement se déroulerait le tirage au sort fixant son ordre de passage devant le conseil de révision à Clary. L’institution, créée depuis 1805, se déplaçait de canton en canton, établissant les listes des conscrits bons pour le service, des dispensés et des ajournés. Une assemblée de notables et d’officiers scruterait et jaugerait son corps afin d’estimer son aptitude à servir.

Il fut un temps où certains avaient les moyens de se faire remplacer, payant un volontaire pour prendre leur place sous les drapeaux. Encore fallait-il être riche ou connaître une famille prête à se sacrifier pour éviter les rigueurs de la vie militaire. La guerre de 1870 avait changé la donne en prescrivant l’incorporation de la totalité de la classe d’âge. Le tirage au sort avait cependant été maintenu. Il déterminait, injustement, la durée du service, partageant le contingent en deux fractions, l’une effectuant cinq ans de service, l’autre un an.

 

Conseil

Uhlan

La guerre, parlons-en !

Depuis la défaite face aux Prussiens, en janvier 1871, le village était resté sous occupation. Les uhlans, ces cavaliers arrogants aux uniformes sombres, avaient imposé leur présence pendant des mois. L’humiliation de voir le village sous contrôle étranger, les récits d’exactions, les regards baissés, éveillaient dans la population une colère sourde. La haine du Boche s’ancrerait pour longtemps dans les mémoires. Servir son pays n’était pas qu’une question de fatalité, c’était une forme de revanche.

L’ombre d’un avenir incertain flottait dans l’air frais du matin. Il n’y avait plus qu’à attendre.

Quelques semaines plus tard, le jour du tirage au sort arriva.

Lorsqu’il plongea la main dans l’urne, son cœur battait fort. Il en retira le numéro 70.

Le verdict fut sans appel : bon pour le service.

Il ne lui restait plus qu’à se préparer à quitter sa famille et son village.

Conscrit ferdinand lansiaux 1

1er mars 1874.

Canonnier au 26e RA

Ferdinand ajusta le col de sa vareuse et s’arrêta un instant devant la porte de la maison familiale. Derrière lui, sa mère retenait ses larmes, ses mains serrées sur son tablier de lin. Son père, debout près de l’âtre, ne disait rien. Emmanuel et Constant, ses frères, s’étaient approchés pour une poignée de main ferme, comme pour sceller un adieu dont on ne disait pas le mot.

Il partait. Sa mère lui avait préparé un petit baluchon : du pain, un morceau de fromage, quelques effets cousus de ses mains. Ce matin, il rejoindrait le nouveau 26e régiment d’artillerie de Campagne formé à Versailles, où il serait formé comme canonnier. Son nom serait inscrit dans les registres, son matricule associé à son uniforme.

Il quittait Bertry, sa famille, son foyer, avec le poids de ce départ sur les épaules.

Pas d’atermoiement, ce serait signe de faiblesse.

Ferdinand se mit en marche. Il prendrait, à Busigny, le train pour Paris, un voyage qu’il n’avait jamais fait, quittant pour la première fois les routes familières de son village. Le convoi l’emporterait loin des paysages de son enfance qui disparaîtraient peu à peu derrière lui. Là-bas, à Versailles, une autre vie l’attendait, une vie de discipline et d’instruction militaire.

Il jeta un dernier regard à la maison, à l’atelier de tissage où son père et ses frères se relayaient sans relâche. Le tissage était un labeur incessant, rythmé par le bruit sec des métiers, les journées débutant à l’aube et ne s’achevant qu’à la tombée de la nuit. Chaque pièce de tissu représentait des heures de concentration, un effort constant pour assurer un revenu suffisant à la famille. Il savait que, désormais, son absence alourdirait encore la charge de travail sur les épaules de son père et de ses frères.

 Anne, sa jeune sœur, jouait encore il y a peu, elle n’avait que dix ans. Maintenant, elle commençait aussi à aider au travail

Tisserand au 19e siècle

22 novembre 1874.

Hopital militaire versailles

Ferdinand n’aura connu que quelques mois de cette nouvelle vie. Les journées de service, et l’épuisement auraient-ils eu raison de sa santé?

Une grande fatigue, une fièvre traînante, des sueurs nocturnes accompagnées d’une toux, d’abord légère, puis de plus en plus douloureuse, dessinèrent rapidement un sombre tableau.

Il entra à l’hôpital militaire de Versailles le 6 novembre. Le verdict tomba : «phtisie», cette maladie qui rongeait les poumons, ne lui laissait aucune chance. Quelques années plus tôt, en 1865, un médecin militaire, Jean-Antoine Villemin, avait démontré le caractère transmissible de la tuberculose, sa contagiosité. Mais ses découvertes étaient restées marginalisées, les théories de l’hérédité dominant encore. Il faudrait attendre 1882 et les travaux de Louis Pasteur pour que Robert Koch identifie enfin le bacille tuberculeux. Pour Ferdinand et tant d’autres, l’issue était inéluctable.

Allongé sur un lit de l’hôpital, il luttait pour chaque respiration. Le monde autour de lui semblait s’effacer, les bruits du dortoir militaire devenant un écho lointain. Il pensa à sa mère, à son père, à l’atelier de tissage où la vie continuait sans lui. Peut-être savaient-ils déjà. Peut-être que la nouvelle de son agonie leur parviendrait trop tard.

Le 22 novembre, Ferdinand s’éteignit, à vingt-deux ans à peine. Son nom fut inscrit une dernière fois, sur le registre du régiment. Il était de ceux que l’histoire oublie, un soldat parmi tant d’autres emportés par la maladie. Mais dans son village de Bertry, dans la maison familiale, son absence laisserait une trace indélébile.

Un peu de généalogie :

La famille Lansiaux Wanecq

Famille lansiaux wanecq

Ferdinand Lansiaux était un petit cousin de mon arrière grand-mère Aimée Wanecq

Lansiaux lenglet

 

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Date de dernière mise à jour : Mer 19 nov 2025

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Commentaires

  • Bruneau Christiane
    • 1. Bruneau Christiane Le Mer 19 nov 2025
    Pour un peu, je pleurerais ! c'est vraiment bien écrit ! bravo
    • Dominique LENGLET
      • Dominique LENGLETLe Mer 19 nov 2025
      Merci Christiane, je m'applique a essayer de mettre de la vie de l'émotion, ou de l'humour pour changer de registre de temps en temps. Ne pas me lasser d'écrire et ne pas lasser le lecteur, tout un programme !

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