Cetait au temps ...

Henri Dumoulin x Marie Poulain

Photo du mois

Mettre un visage sur un nom, c’est une immense plus-value en généalogie.

Le défi « Photo du mois », lancé chaque 10 par le groupe Raconter sa Généalogie, invite à faire parler un cliché : souvenir, émotion ou mystère…

Parce qu’une photo, c’est le début d’une histoire à raconter.

 

Dumoulin poulain

Montigny-en-Cambrésis, vendredi 7 avril 1911. A la sortie de la mairie, entre deux bourrasques.

Il est 11 h 30, et le froid s’invite encore, malgré le printemps inscrit au calendrier. Les invités tapotent des mains pour en chasser l’engourdissement, les femmes resserrent les mantelets, les hommes remontent leurs cols. Tous attendent à l’extérieur. La mairie trop petite ne peut recevoir que les proches. La cérémonie civile se termine, bientôt le cortège se formera de nouveau pour rejoindre l’église. C’est là que j’interviens, dans la peau d’Osyne, reporter de la gazette Cetaitautemps.

« Madame et Monsieur Dumoulin, depuis quelques minutes à peine ! Permettez-moi de vous voler un instant, avant que la noce ne vous emporte. La Gazette Cetaitautemps aime à croquer le destin de ceux qui écrivent l’histoire du village, et aujourd’hui, c’est la vôtre ! D’abord,  toutes mes félicitations ! »

Tous deux acceptent de répondre à quelques questions… sans trop savoir comment ni pourquoi je me trouve ici, mais sans s’en inquiéter non plus. Marie affiche un franc sourire, tandis qu’Henri ajuste discrètement sa moustache, visiblement amusé par cette intrusion inattendue.

Osyne :

«  Vous êtes les mariés du jour… puis-je commencer par vos noms, histoire de ne pas me tromper dans mes notes ? Marie Poulain, avec un a, et Henri Dumoulin. Pas d’y à votre prénom ? »

Marie hoche simplement la tête tandis qu’Henri, ajustant sa moustache, répond :

  • Henri Joseph Dumoulin. Comme mon père. Et comme mon grand-père…. (il marque une pause) et comme mon frère aîné, mais il n’a pas vécu. Alors le prénom m’est revenu. C’est une tradition. On dit que c’est un honneur, mais parfois… c’est aussi une lourde responsabilité. »

Osyne (les encourage d’un sourire) :

 « êtes-vous originaires de Montigny ? » 

Henri :

  • «  Je proviens de Bertry, j’y suis né en 1885, il y a 25 ans. Notre famille y est implantée, mais pas depuis toujours…Mon grand-père venait de Maurois, le village voisin. Il s’est marié à Bertry. Depuis, on s’y est enracinés, et même multipliés — mes parents ont eu dix enfants, huit vivants aujourd’hui. »

Osyne se tourne alors vers Marie, les doigts serrés sur son bouquet, elle répond :

—Je suis née il y a 24 ans à Montigny, chez « les gros genoux » — Saviez-vous que c’est le sobriquet des habitants de notre village ?  Mais mon grand-père venait de Bertry, et son père parait-il, quelque part dans le Pas de Calais. Mais c’est bien loin tout ça. »

Osyne  saisit la balle au bond :

« Justement, dites-nous quelques mots  vos familles respectives ? »

Marie ( qui s’empresse de répondre) :

— Oh là là ! ma famille est un roman à elle seule… Il faudrait un tableau pour s’y retrouver ! Mon père, Théophile Poulain, a d’abord épousé Marie Pezin. Ils ont eu trois enfants, mais deux sont morts tout petits. Puis Marie est morte. Il reste mon demi-frère aîné, qui a été élevé par maman — il est marié maintenant, il vit à Soissons. 

Ensuite, mon père a épousé ma mère, Marie Éliezer Lamotte. Ils ont eu trois enfants aussi, mais, là encore, un n’a pas vécu. Il reste moi, et mon frère Théophile, qui s’est marié l’année dernière et qui est mon témoin de mariage.

Et puis il y a Dina — ma demi-sœur du côté de ma mère. Elle l’a eu à 19 ans, plusieurs années de rencontrer mon père. Une enfant naturelle, comme on dit. »

Osyne note rapidement ces noms sur son carnet, tandis qu’un éclat de rire fuse l’extérieur, dans le groupe des invités, impatients de rejoindre l’église. Elle invite Henri à poursuivre

Quand mes parents se sont mariés, en avril 1884, mon frère aîné était déjà venu au monde depuis trois semaines. Après moi, il y a eu huit autres enfants : quatre filles, et quatre garçons. Cinq sont nés à Bertry, trois à Puteaux. 

Entre le premier-né et la benjamine, il y a dix-neuf ans d’écart. Presque une génération dans une seule famille. C’est Léon, de deux ans mon cadet qui est aujourd’hui mon témoin de mariage. »

Osyne :

« Puteaux ? Vous avez quitté le Nord ? »

 Henri (songeur) :

Effectivement, notre famille a quitté Bertry pour s’installer à Puteaux, en région parisienne.  J’étais enfant, je ne me souviens pas des dates exactes, c’était approximativement  entre 1889 et 1898. Ils étaient tisseurs, mais… Paris promettait du travail. Plusieurs de mes frères et sœurs y sont nés. Moi, j’étais encore petit…

Marie  (profite d’un silence de Henri) :

C’est un point qui nous rassemble, nos deux familles, ont un temps quitté le Cambrésis pour tenter meilleure fortune à la capitale, mais ces deux expériences ont tourné court. La nôtre surtout : Mon père est parti à La Courneuve avec sa première femme. Probablement fin 1884.  Elle est morte là-bas, à 27 ans, en février de l’année suivante. Lui, il est revenu. Leur aventure parisienne n’aura duré que quelques mois. Je n’en ai presque rien su. Pour Henri c’est différent. »

Henri (le regard perdu vers l’horizon):

 —  J’ai gardé quelques souvenirs. Pas des choses très précises. J’étais petit quand nous sommes arrivés, mais j’avais dix ans quand nous sommes revenus. Je me souviens de deux endroits surtout :

Le quai National, où les cheminées crachaient une fumée noire jour et nuit…au bord de la Seine — l’eau, les péniches, rien à voir avec Bertry.

Et l’avenue de Saint-Germain, très large, bordée d’arbres.

L’air sentait le charbon brûlé des usines voisines, mêlé à l’odeur humide du fleuve et des péniches chargées de marchandises. C’était un autre monde, plus bruyant, plus grand. Mais tout est resté flou… sauf ces deux images-là. 

Osyne (noircit sa page frénétiquement):

«  Et vous êtes revenus dans le Nord… »

Henri (songeur):

 —Oui. Quelque temps après la mort de mon petit frère, vers 1896/97.
Je ne sais pas pourquoi exactement — je crois que le Nord nous manquait. Et peut-être que Paris n’était pas si facile qu’on le disait.

Osyne sentant la mélancolie,  change de sujet, et les invite à parler de leur profession, sont-ils tisseurs comme leurs parents ?

Henri :

— La crise d’il y a vingt ans a secoué le métier. Il va falloir s’adapter. Pour l’instant Marie est raccommodeuse. Plus tard, nous verrons bien. Quant à moi, J’ai quitté l’armée l’an dernier. En attendant mieux, je dois travailler à Caudry, comme employé aux chemins de fer du Nord.

Mais j’espère entrer bientôt comme guide forestier dans l’administration des Eaux et Forêts — c’est un service militaire, mais civil dans son fonctionnement. Je m’y suis préparé. J’ai été appelé pour le service militaire et incorporé en octobre 1906, un an plus tard j’étais clairon puis j’ai suivi la formation pour devenir caporal, et je me suis rengagé pour deux ans »

Osyne (lève le nez de son carnet l’œil interrogateur) :

 « Clairon ? dans la fanfare ? »

Non, mademoiselle, Clairon dans une unité combattante. La vie militaire est réglée grâce aux sonneries réglementaires. Les ordres se transmettent au clairon pour les régiments d’infanterie. Ceci permet d’entendre les ordres malgré le brouhaha des combats. Le clairon se tient à proximité de l’officier et transcrit ses ordres en musique, si j’ose dire.

Osyne :

« Une dernière question, avant que la noce ne reparte vers l’église : maintenant que vous voilà mari et femme, que rêvez-vous pour l’avenir ? Rester au pays ? Partir ?

Marie (sans hésiter) :

 —Moi, je voudrais une maison où l’on n’entend pas la bise s’infiltrer par les carreaux, et un jardin, même minuscule, pour planter des œillets ou des haricots. Et puis… une famille, bien sûr. Mais ça, c’est Dieu qui décide. 

Henri (sourire plus réfléchi) :

—J’aimerais un métier stable, qui ne dépende pas des fermetures d’usines ni des patrons d’atelier. Si je peux entrer à l’Administration des Eaux et Forêts, nous serons tranquilles — et puis, j’aime le plein air.
Et si la France nous laisse la paix, je veux bien ne plus jamais remettre l’uniforme. Mais… (il hausse les épaules) on dit toujours ça, avant que le monde se remette à trembler. »

Au moment de les quitter, Osyne  tends à Marie un petit carnet neuf, de quoi y consigner les premiers jours d’un foyer. Un geste simple, presque cérémoniel.

« Tenez, si un jour vous voulez noter ce qui compte, ce qui change, ou ce qui vous échappe… les belles choses comme les rudes. »

Marie le feuillette, ses doigts hésitent.

 —Ce serait bien d’écrire, mais … 

Puis elle  referme le carnet et me le rend :

—Gardez-le. Vous saurez mieux faire. Vous verrez plus loin que nous.

Un silence. La cloche de l’église sonne.

 le cortège se reforme. Les mariés prennent rapidement congé. Osyne reste là, un carnet vierge dans la main, e comprends que c’est à elle d’écrire la suite.

Date de dernière mise à jour : Ven 21 nov 2025

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