Cetait au temps ...

Emile jph fruit

Mon arrière-grand-père Émile Fruit est né en 1864 à Bertry, au cœur d’un siècle agité et passionnant. Tisseur devenu réparateur de métiers Jacquard, engagé dans la Jeunesse Catholique, père de six enfants, il incarne à mes yeux une figure forte et droite, dont la barbe blanche et la présence grave me rappelaient — sur photo — le visage de Victor Hugo. Et pourtant, au-delà de l'image, c’est toute une vie enracinée dans les valeurs du Nord et dans l’histoire de notre famille que je redécouvre.

Une naissance dans un siècle incertain

Émile voit le jour le 20 janvier 1864, sous le Second Empire de Napoléon III. La Révolution française est déjà vieille de 70 ans, mais la France, elle, se cherche encore : l’instabilité des régimes — empire, monarchie, république — laisse planer un doute sur l’avenir politique du pays.

Émile est le dernier des six enfants de Célestin Fruit, tisseur, et d’Anne Fortune Virginie Taine, également tisseuse. Leur premier enfant, un garçon né sans vie, est déclaré le 15 juin 1847. Viennent ensuite Sophie (1848), qui épousera un Parisien et partira vivre à Puteaux — Émile n’a que quatre ans lorsqu’elle se marie ; Virginie (1852), restée célibataire et très présente dans sa vie ; Léonard (1855), Benoît (1859), puis enfin Émile. C’est donc dans un foyer déjà bien rempli que ce petit dernier ouvre les yeux sur un monde en pleine transformation.

Benjamin, Émile grandit au sein d’un foyer que l’on peut qualifier de petite bourgeoisie rurale de l'artisanat du textile. Une aisance modeste, mais réelle, qui permet d’imaginer le petit garçon jouant dans la lumière filtrée des volets clos, son cheval de bois cabré entre ses mains, ou menant bataille avec ses soldats de plomb, sur les tapis usés par les pas de la maisonnée.

Dans ce XIXe siècle où l’école dépend encore du rang social, les enfants du peuple fréquentent l’école primaire, tandis que ceux de familles plus aisées — du moins pour les garçons — peuvent poursuivre vers les classes élémentaires, voire le cours complémentaire. Ce sera le cas du grand-père puisque son livret militaire révèle un degré d'instruction 4 sur une échelle de 5.

L’arrière-grand-père au regard d’argent

Émile, je ne l’ai pas connu de son vivant. Il est mort en 1935, quelques mois après la communion solennelle de mon père. Mais ses photos en noir et blanc me l’ont toujours montré, avec ses cheveux et sa barbe d’un blanc éclatant et le regard clair. Il m'a toujours fait penser à Victor Hugo, tel qu'on nous présentait, enfants, celui qui pratiquait si bien l'art d'être grand-père.  Son livret militaire me permet de compléter le portrait :Émile mesure 1,64 mètre, a les cheveux châtains, les yeux bleus, un nez moyen, une bouche équilibrée.

Comme tous les jeunes hommes de sa génération, Émile est soumis à la loi de 1872 sur le service militaire. Il est incorporé le 1er décembre 1885 au 8e régiment de chasseurs à cheval. Il y restera finalement quatre ans, affecté en dernier au 3e régiment de hussards, bénéficiant de la réduction du service à trois ans actée par la loi de 1889. Il a alors 25 ans.

À peine a-t-il déposé son sabre que la mort frappe le foyer familial : Célestin, son père, s’éteint. Émile devient alors le chef de famille. Il partage la maison avec sa mère vieillissante et Virginie, sa sœur non mariée.

 

Chasseur cheval

De la caserne à l'atelier

Comme beaucoup de garçons du village, Émile a appris le tissage. Mais il ne s’arrête pas là. Il se spécialise dans la maintenance des métiers mécaniques de type Jacquard, une fonction qui demande précision, patience et une solide connaissance technique. Il parcourt l’arrondissement, visite les ateliers  afin de réparer les engrenages, ajuster les peignes et entretenir les grandes machines textile qui font vivre tout un pays.

Hélas, sa vie professionnelle, marquée par la manipulation fréquente de métaux et de plomb, finit par altérer sa santé. Émile développe un saturnisme grave, une intoxication qui manque de l’emporter. La tradition familiale raconte qu’il en sortit les cheveux et la barbe entièrement blancs, changement survenu en quelques semaines. Aujourd’hui, la médecine y verrait une dépigmentation provoquée par une réaction immunitaire sévère — mais à l’époque, cela tenait du prodige, presque d’un signe.

Emile Fruit x Aimee Wanecq

A la maison rue du bois.

Le 13 juin 1896, Émile épouse Aimée Thérèse Wanecq. Le couple aura six enfants. Parmi eux : Gabrielle Virginie, née en 1901, qui épousera Marc Lenglet — mes grands-parents. Voilà pourquoi ce récit n’est sans doute pas tout à fait un portrait neutre : il est aussi une page vivante de mon histoire.

Parmi les autres enfants : Jeanne Marie (1897), Émilien (1904), Noëlla (1911), et deux que la vie n’a pas laissés grandir, Gabrielle (1899) et Noël Aimé (1906), ce dernier mort tragiquement noyé dans un baquet de lessive.

En 1906, dix ans après leur mariage, Émile et Aimée font construire leur propre maison. L’ouvrage est confié aux établissements Rousseau-Laude de Bertry, une entreprise locale bien connue. La bâtisse s’élève dans la rue du Bois — devenue aujourd’hui la rue Lazare Carnot, au numéro 10 exactement. J’en possède encore la facture détaillée : 2771 francs et 15 centimes, somme conséquente à l’époque. Ils y vivront toute leur vie, entourés de leurs enfants… puis de leurs souvenirs.

Lorsque mon arrière-grand-père Émile s’éteint en 1935, sa veuve, Aimée Wanecq, ne peut demeurer seule dans cette grande maison silencieuse. Ce sont alors mes grands-parents — Gabrielle, leur fille, et Marc Lenglet, son époux — qui s’y installent pour veiller sur elle jusqu’à sa mort, trois ans plus tard, en 1938. Une transmission familiale simple et émouvante. J’ai toujours beaucoup aimé cette maison de la rue Lazare Carnot. Elle portait pour moi les traces visibles de mon enfance, de mes grands-parents, de l’odeur du café qui réchauffe au coin du poèle, de nos rires et nos jeux dans la cuisine, du grenier plein de trésors à mes yeux d'enfants. J’aurais aimé qu’elle me revienne, d’une manière ou d’une autre. Mais la vie en a décidé autrement : lors du partage des biens familiaux, c’est une de mes cousines qui en a hérité, et la maison a depuis été vendue.

 

Facture maison 001

 

 

Maison lazare carnot

Homme de foi et d'action

Émile est engagé dans la Jeunesse Catholique dont il préside  en 1903, la section locale de Bertry.  Son rôle actif dans l'organisation de débats sur "la situation actuelle et la nécessité de l'action libérale" reflète une conscience aiguë des enjeux de son temps et une volonté de défendre les valeurs chrétiennes dans un cadre républicain.

Ainsi, l'engagement d'Émile dans la Jeunesse Catholique n'était pas seulement un acte de foi, mais aussi un acte politique, au sens noble du terme : celui d'un citoyen soucieux de participer activement à la vie de la cité, en accord avec ses convictions profondes.

Fondée en 1886 par Albert de Mun, l'ACJF visait à "fonder un ordre social chrétien" en réponse aux défis posés par la modernité et la sécularisation croissante de la société française. Initialement centrée sur les milieux étudiants, l'association s'est rapidement ouverte à tous les jeunes catholiques désireux de s'engager dans des actions sociales, éducatives et spirituelles. Elle prônait la trilogie "Piété, Étude, Action", reflétant une volonté de former des laïcs engagés, capables de défendre les valeurs chrétiennes dans une République de plus en plus laïque.
 

Emile fruit jeunesse catholique

L'art d'être grand-père

Vous pouvez retrouver l'histoire des enfants d'Emile et Aimée :

Jeanne Marie Fruit (1897/1978) épousera Paul Grière, page  :Jeanne Fruit x Paul Grière

Gabrielle Virginie (1899/1899) bébé mort à 6 mois.

Gabrielle Virginie Fruit ( 1901/1987) épousera Marc Lenglet, ce sont mes grands parents. page : Marc Lenglet x Gabrielle Fruit

Emilien Fruit (1904/1980) épousera Alfréda Thiéry. Page : Emilien Fruit x Alfréda Thiery.

Le tragique accident de Noel Aimé. Page : Noël Aimé Fruit

Detail noms communion papa 2

de G à D : Adolphe Lenglet, Noëlle Lenglet , Emile Fruit avec Bernard Grière sur les genoux. Gérard Grière, Paulette Grière, Aimée Wanecq avec Gérard Fruit sur les genoux, Gaby Lenglet.

Au Sol : Monique Grière, Jean-Marc Lenglet, Jeanine Grière

 

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Date de dernière mise à jour : Ven 23 mai 2025

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Commentaires

  • Catherine Livet
    • 1. Catherine Livet Le Sam 24 mai 2025
    Tu présentes ton arrière-grand-père de manière aussi vivante que si tu l'avais connu.
    • Dominique LENGLET
      • Dominique LENGLETLe Dim 25 mai 2025
      Mes grands-parents étaient très "famille", le portrait d'Emile figurait en bonne place dans la salle à manger et nous allions régulièrement sur sa tombe.
  • Laëtitia Pessiot
    Beau portrait, fouillé et parfaitement contextualisé !
  • Jean-Christophe
    • 3. Jean-Christophe Le Sam 24 mai 2025
    Que de similitudes avec certains de mes ancêtres lyonnais, le métier Jacquard qui plus est…
    Les arrière-grands-parents occupent une place particulière dans nos esprits. Ce sont, je pense, les plus lointains ancêtres qui ont un impact sur sensibilités et nos visions du monde.
    Bravo pour ce billet.
    • Dominique LENGLET
      • Dominique LENGLETLe Dim 25 mai 2025
      Merci Jean-Christophe. Maintenant que nous sommes arrière grand parents, je ressens encore plus ce vide de n'avoir pas les avoir connus
  • Fanny-Nésida
    • 4. Fanny-Nésida Le Ven 23 mai 2025
    Un portrait détaillé, un ancrage, des souvenirs

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