Cetait au temps ...

Le carnet de Marie et Henri Dumoulin

Préambule

Ce carnet n’a jamais vraiment existé. Il avait été offert à Marie par Osyne, chroniqueuse de la gazette Cetaitautemps, à la fin du reportage sur leur mariage, pour qu’elle y écrive la chronique de leur vie commune.

La jeune mariée l’avait accepté avec le sourire, puis l’avait rendu quelques instants plus tard, en disant qu’Osyne s’en chargerait mieux qu’eux. Le carnet est donc resté vide.

Ce que l’on va lire n’en est pas la copie, mais la reconstitution : les dates, les faits, les épreuves — tels qu’ils ont été vécus et tels qu’ils auraient pu y figurer — mais aussi les silences, sur lesquels Osyne s’interroge.

Carnet id

hiver 1911-1912 - Premier hiver, premier deuil

Mariés depuis le mois d’avril 1911, Marie et Henri commencent leur vie de couple à Caudry. Il y travaille pour le chemin de fer du Nord. On ignore son poste exact, mais il appartient à cette main-d’œuvre nombreuse qui fait tourner le dépôt, la gare, les voies.

La jeune femme, enceinte, prépare l’arrivée de leur premier enfant. Elle coud du linge, met de côté les économies du ménage, rend visite de temps à autre à sa mère restée à Montigny.

À l’approche de l’accouchement, elle retourne chez ses parents, comme il est parfois d’usage pour une première naissance. Le futur père continue de travailler ; de toute façon, ces choses-là sont affaires de femmes.

Le 12 février 1912, à dix heures du soir, l’enfant naît sans vie. Un garçon. L’acte indique avec la précision froide de l’état civil : « enfant du sexe masculin, sorti sans vie du sein de sa mère ». Aucun prénom ne lui sera donné. Aucun baptême en urgence ne sera célébré. Marie range le linge de bébé dans un tiroir. Elle ne l’ouvrira plus avant des mois.

Caudry gare c

Osyne songe : Marie a-t-elle gardé un objet de ce premier enfant, mort-né en 1912 ? Un vêtement, un bracelet ? Aucune boîte, aucun tiroir ne l’a révélé. Peut-être était-ce trop douloureux. Le petit corps a-t-il été inhumé dans une sépulture discrète, au carré des enfants ? Il ne demeure que l’acte civil — et le vide d’une vie qui n’a pas commencé.

1912-1919 — nouveau métier, des naissances et la guerre

Fin mai 1912, Henri reçoit la confirmation de son admission dans l’administration des Eaux et Forêts. Il quitte son emploi au chemin de fer du Nord et le couple s’installe pour sa première affectation à La Ferté-Milon, dans l’Aisne. Il y entre comme garde forestier, en poste régulier, avec logement de fonction.

Son épouse découvre une existence nouvelle, plus rurale, plus isolée qu’à Caudry, mais stable. En 1913, elle met au monde leur première enfant vivante, une fille, Andréa. Peu après, notre garde obtient la mutation qu’il espérait, pour la maison forestière d’Ors, dans le Nord : la famille se rapproche ainsi de ses racines. Elle s’y établit avant la guerre.

Août 1914 interrompt brutalement cette installation. La guerre est déclarée et Henri est rappelé à l’activité militaire. Il rejoint la 2 compagnie de chasseurs forestiers, une unité d’élite formée à partir du corps forestier civil à la frontière entre armée et de service technique de l’État.

La ferte millon

Osyne note : les chasseurs forestiers ,spécialisés dans l’observation, la reconnaissance, repéraient les mouvements ennemis dans les forêts, guidaient les troupes ou surveillaient les lignes de ravitaillement

Quelques jours seulement après sa mobilisation, son épouse accouche à Ors d’un deuxième enfant, un garçon qui portera le prénom de son père, Henri.

La guerre ne laisse presque aucune trace sur la fiche matricule du soldat : ni blessure, ni citation, ni mention de fait d’armes. Il accomplit sa mission, seconde les armées actives, puis passe progressivement hors des zones de combat pour être rattaché à l’administration. 

1917. Déjà deux ans et demi. Trente mois que l’on endure.
Chaque matin, le journal étale en première page les nouvelles, prétendument rassurantes, d’incessantes victoires sur les champs de bataille, tout en taisant soigneusement les reculades, les défaites cuisantes, les mutineries. À l’arrière, la vie est dure, épuisante pour les Français.

L’année s’ouvre sur un hiver particulièrement rigoureux. Dès janvier, on grelotte ; en février, le thermomètre chute jusqu’à –18°. Les troupes du général Hiver livrent là l’une de leurs plus cruelles batailles du siècle. Pourtant, dans les maisons, on se chauffe à peine. Depuis que l’ennemi a envahi les mines du Nord, le charbon se fait rare, et les autorités n’en distribuent plus qu’au compte-gouttes.

Le combustible n’est pas le seul à manquer. La pénurie s’insinue partout et mine le quotidien. Café, sucre, viande, farine, savon : les produits de première nécessité font défaut. Les cartes de rationnement deviennent la règle.

En mars 1918, François, leur deuxième fils, naît à Suresnes.

Rationnement

File queue

Osyne s’interroge : à quel moment Henri s’est-il retrouvé en région parisienne ? Dans quelles circonstances Marie a-t-elle pu le rejoindre ? Le seul fait tangible est qu’ils furent, forcément, ensemble en juillet 1917.

La guerre ne les épargne pas.

Fin mars 1918, deux semaines à peine après la naissance de François, Léon, le frère cadet d’Henri —son témoin de mariage sept ans plus tôt — est tué à l’ennemi. La nouvelle frappe la famille en plein cœur, comme tant d’autres à travers le pays. Une douleur, partagée par des milliers de foyers endeuillés, qui marquera toute une génération.

 

Date de dernière mise à jour : Lun 24 nov 2025

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