Bernard Dascotte, le rémouleur (1857-1884)
"Toute ressemblance avec des faits et des personnages existants ou ayant existé n'est absolument pas fortuite !"
Chaque 3ᵉ samedi du mois, je participe au Rendez-vous ancestral, un défi d’écriture où l’on remonte le temps à la rencontre d’un personnage présent dans notre arbre généalogique. Une fiction basée sur des données réelles. Pour m’y aider, j’ai créé, voici deux ans, le personnage d’Osyne, chroniqueuse pour la gazette Cetaitautemps.
Mon moyen de transport ? Ce petit pot en verre et métal, du XIXe siècle, autrefois confiturier ou sucrier, aujourd’hui mon fidèle "Portoloin". Tel la lampe d’Aladin, il me relie à mes arrière-grands-parents et m’ouvre la porte du passé.
La chanson du rémouleur
Me voilà, par-delà les ans, débarquée à Clary en ce doux mois de mai 1878. Là, au détour des pavés chauffés par le soleil, le tintement clair d’une clochette guide mes pas.
« Rémouleur, rémouleur, couteaux, ciseaux, rasoirs ! »
Le cri fend l’air comme une invitation. Face à moi, un jeune homme en tablier de cuir, sourire franc et main assurée sur la meule. Ne serait-ce pas Bernard Dascotte, « LE » rémouleur de mon arbre ? L’occasion est trop belle , il me faut l’interviewer !
Le voici, grand gaillard d’une vingtaine d'années, solide dans son tablier de cuir usé. La poussière du chemin s'est accrochée à ses bottes, et son chariot grinçant supporte l'outil précieux : la lourde meule d'affûtage, patinée par l'usage et les kilomètres.
C’est ainsi que, carnet en main et curiosité au cœur, je me présente à lui sous mon nom d’enquêtrice du temps : Osyne, chroniqueuse de la gazette Cetaitautemps.
—"Je voudrais parler de vous et de votre métier. Votre voix a fait vibrer toute la rue !
Il me gratifie d’un sourire franc, tout en continuant à faire tournoyer la roue d'un pied sûr.
— "Bonjour, mademoiselle la curieuse ! Venez, faut pas rester plantée là, approchez ! Y'a d'la place !"
Il essuie ses mains sur un chiffon rêche, et s’installe plus confortablement sur le banc bancal tiré derrière la meule.
— "Allez-y. Posez vos questions. Faut ben que l’monde sache, tant qu’on est là..."
Je le dévisage à la dérobée : visage franc, teint halé, mains solides, et corps musclé comme tous ces hommes nés pour le grand air et le travail rude.
— "Depuis quand êtes-vous rémouleur, Bernard ?"
— "Depuis qu’j’suis grand assez pour pousser la meule !" lance-t-il en riant. "On apprend pas ça à l'école. C’est les routes et les gens qui vous font l'métier."
— "Vous parcourez beaucoup ?"
— "Oh oui ! Clary, Bertry, Caudry, Clary, parfois pus loin, vers l'Cateau et dans l’Aisne. On marche. Par tous les temps. Faut qu'la clochette s’entende pour rassembler les ménagères. Si j’me lève pas tôt, c’est l'couteau qui s’rendort !"
Il éclate d’un rire sonore, puis reprend, plus sérieux :
— "C'est un métier d’pieds et d'bras. Faut pas s’ faire voler sa place. Chacun son secteur, sinon, gare !"
Pendant qu’il parle, le travail continue, les mains s’agitent il affine un vieux ciseau, le métal projetant de fines étincelles. C’est que rémouleur pourrait rimer avec beau parleur, il en faut du bagout, pour capter l’attention.
— « Et bientôt, vous serez deux pour arpenter les chemins ? » glissé-je avec un sourire malicieux.
Il lève vers moi des yeux qui brillent.
— « Ah, vous savez donc tout, mademoiselle Osyne ! Vous seriez pas un peu sorcière ? Oui, c’est vrai les bans s’ront publiés bientôt. J’marie Marceline Wanecq, une tisseuse de Bertry. Une main de fée pour le fil ! Ça s’era p’t-être une autre vie après. Faut une sacrée patience pour attendre son homme des jours durant ! On est pas chez les marins »
Je le rassure, je ne suis pas sorcière, Marceline est juste « une petite cousine »… j’évite de préciser… de mon arrière-grand-mère.
Nous restons là un moment, à écouter la meule ronronner et à découvrir le fil tranchant retrouvé. Moi qui n’ai pas un couteau qui coupe correctement à la maison, je suis subjuguée par la métamorphose des objets.
—« la prochaine fois que l’on se rencontre, Bernard, je vous apporte mon couteau de poche, il n’est même plus capable de peler une simple pomme !
Il acquiesce et sur ces paroles nous prenons congé. En m’éloignant je pense au chemin qui s’ouvre devant lui. A ce qu’il ignore ...
Ce petit métier des rues perdurera au début du XXe siècle, mais sera presque uniquement exercé par le peuple nomade des tsiganes. sera emporté par la marée montante de la modernité. Puis viendra l’acier inoxydable, qui , plus solide, nécessite peu l’intervention de l’homme de l’art. Enfin les temps modernes, les prix bas, inciteront à jeter et remplacer plutôt qu’à entretenir et réparer.
Quant à Bernard, pauvre Bernard, il ne connaîtra pas ce monde nouveau : la vie, en traîtresse pressée, lui volera ses jours à vingt-sept ans à peine, après six ans de mariage.
Un an après leur union naitra Adèle, puis des jumeaux, en 1880, qui ne vivront qu’une seule journée. Bernard a cessé son travail de rémouleur, lorsqu’il déclare la naissance de ces enfants il indique être cantonnier auxiliaire. Enfin en 1882 naîtra Jeanne. A ce moment là Bernard Dascotte a embrassé le métier de son épouse, il est devenu tisseur. Bernard Dascotte meurt à Bertry en avril 1884. Deux années plus tard, sa veuve épousera Jean Baptite Devigne de Troisvilles.
Date de dernière mise à jour : Jeu 05 juin 2025
Commentaires
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- 1. Bruneau Le Sam 17 mai 2025
Ben voilà, tu l'as trouvé ton remouleur ! -
- 2. VERONIQUE ESPECHE Le Sam 17 mai 2025
Une belle rencontre affutée
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