Donat Lagouge et Orélie Fruit
Entre Maurois et Bertry, un couple
Le 27 février 1897, l’église de Bertry vit s’avancer un veuf et une jeune femme de vingt-six ans. Ce jour-là, Donat Lagouge, tisseur né à Maurois en 1863, épousait en secondes noces Orélie Fruit, sa cadette de sept ans.
Donat avait connu les épreuves : sa première épouse, Louise Delbart, s’était éteinte deux ans plus tôt, lui laissant deux enfants, Eudoxie et Donat. La petite famille portait encore le deuil lorsqu’Orélie entra dans leur vie. La jeune femme accepta de prendre sous son aile ces enfants orphelins, tout en bâtissant avec leur père une nouvelle lignée. Trois autres naissances vinrent bientôt remplir la maison : Julie, Célénie et un autre Donat. Le premier garçon de ce prénom, issu du premier mariage, s’était éteint en 1891, emporté par la fragilité de l’enfance, mais les quatre autres enfants survécurent et assurèrent la continuité de cette union, perpétuant leur histoire à travers leur descendance.
Orélie était la benjamine d’une fratrie de six. Ses parents, comme ses grands-parents paternels et maternels, avaient disparu depuis plusieurs années, ce que l’acte de mariage consigne avec une sobriété désarmante. Pourtant, elle n’était pas seule : ses frères l’entouraient et figuraient parmi les témoins de son union, rappelant que la fratrie tenait lieu de famille élargie lorsque les générations précédentes s’étaient déjà éteintes. Comme son époux, elle exerçait le métier de tisseuse.
Le couple s’établit à Maurois, et non pas à Bertry, le village natal de la mariée, comme c’était bien souvent la coutume. Sans doute le fait qu’Orélie fût orpheline pesa-t-il dans ce choix : elle ne disposait plus de ses parents pour l’y retenir, tandis que Donat, avait son ancrage familial et professionnel à Maurois
A Maurois
Puisqu’il est rare que j’aie l’occasion d’évoquer Maurois, berceau de Donat, je m’y attarderai un peu à la faveur de cet article. Ce petit village voisin, paisible et sans faste, possède quelques singularités :
L’Erclin, que nous considérons comme un petit ruisseau inoffensif, y prend sa source avant de se faufiler dans la campagne jusqu'à l'Escaut. Mais la rivière se montre parfois capricieuse : en 1864, elle déborda, submergeant les habitations de la rue d’En-bas et interrompant toute circulation. Pour rejoindre l’église, il fallait alors grimper à cheval ou monter en voiture, comme si Maurois s’était transformé en petite Venise improvisée.
Dans sa monographie du village écrite en 1899, l'instituteur local nous apprend que "le bourg comptait aussi un bois renommé, autrefois relié à Clary avant les défrichements. À la fin du XIXᵉ siècle, il offrait de longues allées ombragées, des tonnelles naturelles menant à un kiosque et à un étang peuplé de superbes carpes. Tous les dimanches, de nombreux visiteurs venaient s’y promener, surtout des Caudrésiens en quête de fraîcheur, de repos d’esprit et d’air pur. Les bancs rustiques accueillaient les familles, et les tisseurs fatigués de fixer des heures durant leurs métiers à tisser y reposaient leurs yeux dans la verdure."
Maurois s’inscrivait aussi dans l’aventure industrielle du textile, avec l’implantation d’une succursale de la grande usine Seydoux du Cateau-Cambrésis. Spécialisée dans les tissus fantaisie, elle employa jusqu’à huit cents tisseurs.
Mais revenons à Donat Lagouge et Orélie Fruit.
Sous la Troisième République
Leur vie se déroula sous la Troisième République, avec ses secousses nationales qui retentissaient jusque dans les foyers du Cambrésis. L’affaire Dreyfus divisait les familles jusque dans les estaminets, la séparation de l’Église et de l’État en 1905 redéfinissait les usages religieux et, plus tard, la Première Guerre mondiale frappa durement la région, marquée par l’occupation, les réquisitions et les privations. Même sans fils mobilisé, Orélie et Donat vécurent au quotidien ces temps d’incertitude, à travers leurs neveux, comme Jean Baptiste Valet, tué au chemin des dames en 1917.
Ils vécurent aussi les grands bouleversements technologiques qui transformaient le quotidien des campagnes : l’arrivée du train avec la création des Chemins de fer du Nord, qui rapprochait soudain les villages des grandes villes ; l’électrification progressive de Maurois et des communes voisines, qui remplaçait la lueur vacillante des lampes à pétrole par la clarté nouvelle des ampoules ; et enfin l’apparition de l’automobile, encore rare mais déjà promise à bouleverser les routes du Cambrésis. Et qui sait ? Peut-être, jeunes gens curieux et avides de spectacles, firent-ils partie de cette foule immense qui, le 19 juillet 1885 à Caudry, assista à l’envol du ballon aéronautique Jupiter.
Tous deux eurent la chance de voir leurs enfants mariés et de connaître leurs petits-enfants. La vieillesse, malgré les épreuves, fut adoucie par cette descendance. Orélie fut la première à s’éteindre, en pleine Seconde Guerre mondiale, le jour de Noël 1941. Donat lui survécut pendant cinq années.
repères généalogiques
Orélie Fruit n’est pas pour moi une inconnue lointaine : elle était la petite cousine de mon arrière-grand-père Émile Fruit. Mais au-delà de ce lien direct par le patronyme, les multiples cousinages qui tissaient les familles bertrésiennes nous rapprochent encore davantage. Au total, nous partageons pas moins de quarante-huit ancêtres communs, preuve éclatante que la mémoire généalogique n’est pas un fil unique, mais une toile patiemment ourdie au fil des générations.
Merci pour cette lecture. L' article vous a ému(e), intéressé(e), amusé(e) ou tout simplement été utile ?
Ecrivez-moi un petit commentaire, Seul le nom (initiales ou pseudo) est obligatoire. Si vous souhaitez que je vous contacte, pensez-à renseigner votre e-mail, je suis toujours heureuse d'échanger.
Le blog ne comporte pas de bouton « like » n’hésitez donc pas à manifester votre satisfaction en attribuant les cinq étoiles ci-dessous. C’est une belle façon d’encourager mon travail !
Date de dernière mise à jour : Jeu 25 sept 2025
Ajouter un commentaire