Cetait au temps ...

Taine, Molet, Lamant : liaisons dangereuses

Portoloin 1

"Toute ressemblance avec des faits et des personnages existants ou ayant existé n'est absolument pas fortuite !"

Chaque 3ᵉ samedi du mois, je participe au Rendez-vous ancestral, un défi d’écriture où l’on remonte le temps à la rencontre d’un personnage présent dans notre arbre généalogique. Une fiction basée sur des données réelles. Pour m’y aider, j’ai créé, voici deux ans,  le personnage d’Osyne, chroniqueuse pour la gazette Cetaitautemps.

Mon moyen de transport ? Ce petit pot en verre et métal, du XIXe siècle, autrefois confiturier ou sucrier, aujourd’hui mon fidèle "Portoloin". Tel la lampe d’Aladin, il me relie à mes arrière-grands-parents et m’ouvre la porte du passé.

Rendez-vous ancestral

Septembre… La rentrée garde des airs de fin d’été. En cette journée orageuse, je farfouille sans trop savoir ce que je cherche, dans les tréfonds numérisés de la presse ancienne. Encore toute abreuvée des romans policiers que j’ai dévorés sur la plage, mes yeux s’arrêtent sur un titre tapageur :

— "TENTATIVE D’ASSASSINAT"

Un fait divers daté de novembre 1898.
Lieu : Saint-Quentin
Auteur présumé : Bénoni Taine
Profession : ouvrier tisseur
Origine : Bertry

Image IA ChatGpt

L'article de presse

Le papier est croustillant, à sa manière. L’affaire se déroule à Saint-Quentin, le 22 novembre 1898. Bénoni, ouvrier tisseur, marié depuis douze ans à une certaine Rose Molet, semble ronger son frein depuis un moment. Le couple vit dans un petit rez-de-chaussée de la rue Brulée. Les voisins parlent de disputes fréquentes, de jalousie... Et voilà qu’un matin, en partant pour l’usine, il trouve sa porte close. Verrouillée de l’intérieur. Et derrière la porte ? Un homme. Un certain... Lamant. Oui, Lamant. C’est son nom. Même les romanciers n’auraient pas osé.

S’ensuit une série d’événements rocambolesques : cris, menaces, une arme récupérée au Mont-de-Piété, des coups de feu — et heureusement, pas de mort, juste une blessure. De quoi classer l’affaire entre vaudeville conjugal et drame de jalousie, avec le ridicule en filigrane... et une forte envie d’en savoir plus.

Il ne m’en faut pas davantage. Je ne résiste pas à la tentation, et c’est sous le pseudo d’Osyne, chroniqueuse de la gazette Cetaitautemps, que mon Portoloin me propulse à Saint-Quentin, dans l’Aisne. Il pleut, évidemment – il pleut toujours dans ces histoires-là.

Scènes d'un drame peu ordinaire

En descendant sur le quai, je revis mentalement les faits tels que je les ai découverts dans la presse :

Bénoni Taine, à la buvette de la gare, en train de boire une bière avec son rival, le sieur Lamant.

Les deux se quittent. Lamant se dirige tranquillement vers la salle des voyageurs de 3e classe. Bénoni, lui, prend un autre chemin, mais revient. Il glisse la main dans sa poche. Et soudain, l’éclat métallique, les gestes vifs, quatre coups de feu. Deux atteignent Lamant, à l’arrière de l’épaule et dans le cuir chevelu. Rien de mortel.

Le policier Vassaux accourt, désarme Taine, qui ne tente même pas de fuir. Il se laisse emmener sans mot dire.

Mais tout cela n’est que le second épisode de cette double tentative de meurtre.

Taine lamant

Tout a commencé lorsque Taine, de retour chez lui plus tôt que prévu, trouva son épouse en situation délicate avec le cocher. Furieux, il jura qu’il se vengerait des deux coupables. Il se procura une arme et, l’après-midi même, de retour chez lui, tira quatre coups de feu sur sa femme, qui lui tournait le dos : l’un l’atteignit à la nuque, au bord du cuir chevelu, l’autre au pouce. La femme s’enfuit et se réfugia chez les voisins. Imperturbable, Taine rechargea son arme et rejoignit Lamant à la buvette de la gare.

Deux fois quatre balles. Si l’on peut s’en réjouir pour les victimes, force est de constater que Bénoni Taine était un piètre tireur.

Le procès

Je suis arrivée pour assister au procès. L’audience a lieu quelques semaines plus tard.
Entretemps, Rose Molet, épouse Taine, est décédée à l’Hôtel-Dieu. Une mort naturelle, due à une infection grave, pulmonaire et méningée. L’autopsie l’a confirmé : les coups de revolver n’y sont pour rien.

Bénoni reconnaît les faits. Il n’élude rien. Il raconte son humiliation, sa colère, l’arme rachetée, les balles tirées. Les multiples témoins appelés à la barre parlent en faveur de l’accusé : bon ouvrier, laborieux, de bonne conduite et bonne moralité. 

 

La salle est bondée. On attend la déposition du cocher Lamant comme on irait voir une pièce de boulevard.

Et il ne déçoit pas. Mal à l’aise, pas vraiment séduisant — « loin d’être un Adonis », dira le journaliste — il nie avoir été l’amant. Mais il bafouille, donne un alibi bancal, se défend maladroitement.

Ma femme est dans la salle, elle sait ce que je sais faire !, lâche-t-il avec un aplomb douteux, provoquant un éclat de rire général.

Le ministère public, M. Maisonneuve, tente de plaider la préméditation. Il demande cinq ans.

Epouse lamant

Le médecin, un certain Dr Danay, nuance : Taine serait sujet à des crises d’hystérie, et aurait agi sous l’emprise d’un état nerveux « dont il n’avait pas la maîtrise ».Difficile à prouver, mais l’homme n’a jamais été condamné. Il a acheté l’arme à découvert, tiré dans le dos, mais blessé sans gravité.

Me Leduc, son avocat, plaide l’absence de préméditation avec brio. Le jury délibère. Et le soir même, à 7h12, le verdict tombe :

« La Cour prononce l’acquittement de Taine. »

La cousine de Bertry

Nous quittons le tribunal. C’est pour moi une occasion unique d’échanger quelques mots.
Il est là, debout, à quelques mètres. Libre.

Son chapeau à la main, il ne regarde personne en particulier. Il n’a pas l’air d’un homme triomphant, ni soulagé. Seulement... vide. Peut-être un peu perdu.

Je m’approche. Pas trop. Juste assez pour qu’il me voie. Calepin à la main, prête à recueillir son témoignage, je m’éclaircis la voix.

Monsieur Taine ?

Il me regarde, méfiant d’abord. Puis un froncement d’yeux, comme s’il cherchait dans ses souvenirs.

Je viens de Bertry, dis-je simplement. Fruit et Lenglet Pruvot sont des noms de ma famille proche. Je crois que nous avons deux couples d’ancêtres communs, trois ou quatre générations plus haut. Rien de bien proche… mais assez pour que je m’intéresse à vous.

Un silence.
Il hoche la tête lentement.

Vous venez pour écrire quelque chose ?
— Non. Je viens pour comprendre. Et pour écouter, un peu.
— Alors vous êtes bien la seule
.

Un temps encore. Puis il tourne les talons, lentement.
Pas fâché. Pas bavard. Juste un homme fatigué, qui rentre chez lui, ou ailleurs.

Je ne l’ai pas revu.
Mais désormais, dans mon arbre, le nom de Bénoni Taine ne sera plus juste une ligne. Il sera ce moment étrange, suspendu, où l’on croise un cousin que la vie a cabossé, mais pas tout à fait brisé.

Nous ne sommes pas là pour peser la balance d’une justice d’autrefois, sévère jusqu’au bagne pour un simple pain dérobé, mais parfois indulgente envers le crime conjugal : les siècles ont passé, les mœurs ont mué, et notre regard n’est plus celui du XIXᵉ siècle

Archives de presse

Taine benoni 1 1898

Taine benoni 3

Taine benoni 2

Taine benoni 4

Taine benoni 5 1899

Repères généalogiques

Vous trouverez le portrait de la famille TAINE FRUIT  brossé ICI

Bénoni est un lointain cousin, par son père et par sa mère.

 

Taine fruit

Taine lenglet 1

 

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Date de dernière mise à jour : Mar 23 sept 2025

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Commentaires

  • Briqueloup
    Un fait-divers bien dans l'actu des féminicides inacceptables.
    • Dominique LENGLET
      • Dominique LENGLETLe Mar 23 sept 2025
      Je suis bien d’accord avec vous : comment ne pas l’être ? Les féminicides sont totalement inacceptables. Mais dans le cadre du Rendez-vous ancestral, je dois me couler dans la peau d’un personnage du XIXᵉ siècle : je ne peux donc plaquer sur lui une pensée qui n’appartient qu’à notre époque.
  • Catherine Livet
    • 2. Catherine Livet Le Lun 22 sept 2025
    En fait, contre toute morale, j'adore ces histoires qui permettent vraiment de comprendre l'esprit de nos ancêtres.

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