les Taine-Fruit, Chronique d'une famille tisserande du XIXe siècle
Taine - Fruit
Il était une fois à Bertry, en 1834, un petit garçon prénommé Bénoni. Non, ce n’est pas une faute de plume, mais bien un prénom biblique qui fleurissait alors dans nos campagnes.
Bénoni Taine, issu de cette longue lignée d’artisans du fil qui, depuis des générations, font bruire les métiers dans les maisons du Cambrésis. Plus qu’une tradition, c’était presque une fatalité : dans la région, il n’y avait guère d’autre avenir que celui de tisser, du matin au soir, au rythme de la navette qui danse.
Nos deux tourtereaux ne furent pas pressés d’officialiser leur union : en février 1863 seulement, ils passèrent devant le maire. Entre-temps, deux marmots étaient déjà venus bousculer leur quotidien : Anne Florence en 1859 et, en 1862, un petit Bénoni junior, qui connaîtra un destin… disons, haut en couleur, mais n’anticipons pas : ce sera l’objet d’un prochain récit.
La vie n’est pas toujours filée d’or : un petit Célestin naît en 1865, avant de s’éteindre trop tôt en 1868, à Flesquières. Preuve que la famille avait déjà plié bagage : entre 1866 et 1868, les Taine-Fruit quittent Bertry pour tenter leur chance ailleurs. Trois autres enfants verront ensuite le jour à Fluquières.
J’ai tracé sur une carte leur parcours : environ quarante-deux kilomètres séparaient Bertry de Fluquières.
Ce n’était pas un exil lointain, mais tout de même une petite expédition pour l’époque. Je les imagine, un matin d’entre-deux saisons, entassant leurs maigres possessions sur une charrette tirée par un cheval. Les enfants serrés les uns contre les autres, les ballots ficelés à la hâte, et au cœur de ce cortège modeste, l’espoir obstiné de trouver un travail et un avenir plus sûr.
De Bertry à Fluquières
Pourquoi partir ? Parce que le monde change. Les tisserands indépendants, accrochés à leurs vieux métiers, ne peuvent plus suivre. Les machines coûtent une fortune, les fabriques poussent comme des champignons après la pluie, et les petites mains ne trouvent plus leur place.
Alors, chacun cherche son salut : certains vont à Fourmies travailler la laine, d’autres au Cateau grossir l’empire Seydoux, d’autres encore s’installent à Saint-Quentin, devenu, grâce au chemin de fer, un vaste de centre de négoce. On y centralise les commandes et on redistribue les productions à travers toute l’Europe.
Les Taine, eux, choisissent Fluquières petit village de la banlieue de Saint-Quentin, et sa Fabrique, synonyme d’emploi et de pain quotidien.
Moins d'indépendance, plus de confort
L’époque est marquée par une prospérité certaine : de grandes demeures patronales surgissent alors dans le paysage, aussitôt baptisées “châteaux” par les habitants. Témoins de la réussite industrielle, elles ponctuent encore aujourd’hui les bourgs de la région.
Si ces usines gigantesques constituent un bouleversement du cadre de vie, elles apportent aussi des avantages. Les employeurs, soucieux d’attirer et de fidéliser leur main-d’œuvre, encouragent l’ouverture de familistères, de maisons médicales et parfois d’écoles à proximité des logements. Le village se transforme : il n’est plus seulement un lieu de travail, mais devient un espace organisé autour de la fabrique.
La suite ressemble à tant d’autres destins du XIXᵉ siècle : : un père qui meurt en 1896 à Fluquières, une veuve, Anne Florence, qui file s’installer à Saint-Quentin, un fils — le fameux Bénoni junior — qui vient mourir chez sa mère en 1899. Quant à elle, on la retrouve encore vivante en 1903, au mariage de sa benjamine Marie Clémentine… puis plus rien. Évanouie des recensements de 1906, comme si l’Histoire avait refermé son livre.
Ainsi va la saga Taine-Fruit : une famille de tisserands pris dans les secousses de la révolution industrielle, contraints de plier bagage, de recommencer ailleurs, et de voir leurs enfants se disperser. Des vies modestes, mais qui racontent, à elles seules, toutes les difficultés du XIXᵉ siècle en pleine mutation.
Quelques repères généalogiques
Tout cela vous semble peut-être bien lointain, comme un monde révolu. Pourtant, cette petite chronique familiale résonne encore dans la mémoire bertrésienne. Car parmi ces destins se glissent des patronymes toujours familiers : les Taine et les Fruit, bien sûr, mais aussi les Pruvot, les Basquin, les Louvet… autant de noms qui peuplent encore les maisons du village.
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Date de dernière mise à jour : Dim 14 sept 2025
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