Narcisse Louvet (1896-1960)
Enfance à Montigny
Narcisse Louvet est le cousin germain de ma grand-mère maternelle. Fils de Séverine Tamboise — ma arrière-grand-tante — et de François Louvet. Il appartient à ces lignées de mulquiniers, tisseurs, artisans de la batiste, ce tissu fin et précieux qui a façonné le Cambrésis et fait la renommée de Cambrai bien avant les dentelles ou ses fameuses "bêtises".
Ses parents se sont unis à Montigny-en-Cambrésis (Nord) en juillet 1895, en pleine révolution industrielle, alors que les métiers à tisser mécaniques transforment le paysage économique du Cambrésis. Narcisse est leur premier-né, arrivant au monde le vendredi 31 janvier 1896 à 3 heures du matin, rue Monard (aujourd’hui rue Victor Hugo). La maman n’a pas encore fêté ses 20 ans. Son prénom rend hommage à son oncle paternel, Narcisse Louvet, frère de François — peut-être aussi son parrain, selon une tradition familiale fréquente à l’époque.
Le garçonnet grandit au sein d’une fratrie de sept enfants, marquée par la mortalité infantile et juvénile si fréquente à l'époque
- Odile, leur seule fille, née en 1909, meurt à quelques mois.
- Julien (1905–1919) ne vit que jusqu’à 14 ans, emporté trois mois avant le mariage de son frère Narcisse.
- Urbain (1899–1925), célibataire, décède à 26 ans.
Entre maladies infectieuses, conditions de travail difficiles et hygiène précaire, perdre un enfant ou un jeune adulte était, hélas, une épreuve trop commune.
Trop jeune pour la guerre, mais...
Narcisse, né en 1896, n’a que 18 ans quand la guerre éclate. Trop jeune pour être mobilisé en 1914, il échappe à la première vague de conscription. Pourtant, son nom apparaît sur les listes des prisonniers civils déportés. En effet, à partir de 1915, les autorités allemandes imposent aux jeunes hommes des zones occupées — même mineurs — des travaux forcés (creusement de tranchées, réparation de routes, usines). Certains sont aussi pris en otage pour dissuader les actes de résistance. C’est probablement dans ce cadre qu’il est arrêté, puis interné avant même d’avoir l’âge d’être appelé sous les drapeaux français.
Il recevra plus tard la médaille des déportés et prisonniers civils, trace silencieuse de ces années volées.
En 1919, la France mobilise les classes 1916 à 1919 pour reconstruire le pays. Narcisse et Urbain Louvet sont convoqués devant le conseil de révision pour les classes reportées. Tous deux sont réformés temporairement en 1919 — motif invoqué : « insuffisance de développement », une catégorie large qui couvre aussi bien la maigreur que les séquelles de maladies. Mais Narcisse est finalement réformé définitivement pour bronchite bacillaire, une maladie pulmonaire grave diagnostiquée à cette occasion.
Urbain, incorporé en juin 1920, est libéré en mars 1921 avec un certificat de bonne conduite. Son service écourté suggère une santé toujours précaire. Il mourra quatre ans plus tard.
De la batiste à la dentelle
Si Narcisse Louvet naît dans une famille de tisseurs de batiste, il nait après à la mutation de son territoire. Depuis la fin du XIXe siècle, le Cambrésis s'est reconvertit progressivement vers la dentelle mécanique, plus rentable face à la concurrence industrielle. Le jeune homme sera tulliste — un métier qui exige une précision d’horloger pour guider les métiers à tulles (ou métiers Leavers), ces machines complexes importées d’Angleterre. Dans les années 20, La région compte des centaines de métiers à tulles, souvent installés dans des ateliers familiaux. Pour la famille Louvet, c'est peut-être rue Magdeleine (future rue de la Paix), où il réparera aussi des vélos — une activité complémentaire fréquente chez les ouvriers du textile, touchés par les crises du secteur.
Le temps des amours et de la famille
Narcisse Louvet fréquente une jeune fille du village, Jeanne Dubois. Ils ont grandi ensemble à Montigny, dans le même milieu des familles de tisseurs. Jeanne est la fille de Gustave Dubois et Adélaïde Legrand, eux aussi parents de sept enfants.
Leur idylle aboutit au mariage, célébré le 25 octobre 1919, un an après l’Armistice, alors que la région panse ses plaies. Ce « oui » marque aussi l’espoir d’une vie nouvelle. Jeanne tiendra un café, lieu de sociabilité essentiel dans les petites communes.
De leur union naissent deux enfants :
- Jeanne, en 1920, qui épousera Alfred Puche ;
- Narcisse, né le 26 avril 1926, qui se mariera avec Marie-Louise Dumoulin.
-
Ils ignorent alors qu’ils devront affronter, vingt ans plus tard, l’épreuve d’une nouvelle guerre. Tous deux auront la chance de connaître leurs petits-enfants.
Les dernières années
Narcisse Louvet, resté fragile toute sa vie, s’éteint à Montigny le 17 octobre 1960, à 64 ans. Son petit-fils Joël se souvient de ce matin-là : « Avant de prendre le train pour le lycée à Cambrai, je suis passé une dernière fois à son chevet. Mon père m’avait prévenu : "Tu ne le reverras peut-être pas vivant." »
Jeanne, sa veuve, lui survivra quinze ans, mais ses dernières années seront marquées par la confusion. Atteinte de troubles cognitifs, elle finira ses jours dans une maison de repos à Bailleul.
Crédit photos Joel Louvet
L'enquête reste ouverte
Malgré des recherches, les circonstances exactes de l’obtention de cette médaille restent floues : réquisition comme travailleur forcé, internement en représailles, ou autre motif ? Si d’autres familles de Montigny ont vécu des situations similaires, leurs histoires restent à découvrir. Les archives disponibles aujourd’hui ne permettent pas d’en savoir plus. L’abbé Duthoit, dans son Histoire de Montigny-en-Cambrésis (1972), ne mentionne pas ce pan sombre de l’Occupation, pourtant partagé par d’autres villages du Cambrésis dont Clary.
Peut-être des descendants ou des documents inédits apporteront-ils un jour des réponses. Votre aide ou vos souvenirs sont les bienvenus.

Merci pour cette lecture. L' article vous a ému(e), intéressé(e), amusé(e) ou tout simplement été utile ?
Ecrivez-moi un petit commentaire, Seul le nom (initiales ou pseudo) est obligatoire. Si vous souhaitez que je vous contacte, pensez-à renseigner votre e-mail, je suis toujours heureuse d'échanger.
Le blog ne comporte pas de bouton « like » n’hésitez donc pas à manifester votre satisfaction en attribuant les cinq étoiles ci-dessous. C’est une belle façon d’encourager mon travail !
Date de dernière mise à jour : Jeu 30 oct 2025
Commentaires
-
- 1. Jean Claude Taisne Le Sam 01 nov 2025
Bonjour Joël et Dominique, je me souviens bien de ta grand mère, Joël, qui habitait à l'emplacement du plateau de sports rue Gambetta . Tu as une sœur qui s'appelle Marina.. elle est à peu près de mon âge 72 environ .. qu'est elle devenue ? -
- 2. Delfosse Le Jeu 30 oct 2025
Bonjour Dom,encore un bel article, j'aime ton écriture dans chaque article. Bravo à bientôt -
- 3. Joël LOUVET Le Jeu 30 oct 2025
Hello Domi, merci pour ce billet concernant mes GP paternels.-
- Dominique LENGLETLe Jeu 30 oct 2025
Mais c'est un plaisir, mon cousin. Un grand merci pour les photos qui ont permis d'illustrer mon article
-
- 4. VERONIQUE ESPECHE Le Jeu 30 oct 2025
Encore une jeunesse brisée par la guerre -
- 5. Louvet Nadia Le Jeu 30 oct 2025
Merci pour toutes ses informations.
C est ma descendance du côté de mon papa.
Ajouter un commentaire




