Hardivillers, 20 mai 1940
- Le Mar 13 mai 2025
- Dans Histoire locale
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Il y a 85 ans, le lundi 20 mai 1940. Ce texte retrace un épisode tragique de l’exode, survenu à Hardivillers, dans l’Oise.
Il s’inscrit dans une démarche de mémoire familiale et collective, pour rendre hommage aux victimes civiles fauchées par les bombes, et dont les noms ne doivent pas s’effacer.
Mai 1940 : la France en exode
Le mois de mai 1940 restera, dans la mémoire nationale, comme l’un des plus sombres de notre histoire contemporaine.
Après des mois d’observation de part et d’autre, en quelques semaines, l’armée allemande, rompue à la guerre éclair (Blitzkrieg), franchit les Ardennes, transperce les lignes françaises à Sedan, et déferle sur le nord du pays. L’offensive, lancée le 10 mai, prend de vitesse un commandement français désorganisé et débordé.
Très vite, les routes se couvrent d’un peuple en marche. À l’approche des combats, femmes, enfants, vieillards du Nord de la France et de Belgique, se pressent sur les chemins dans un exode désespéré.
On estime à huit à dix millions le nombre de civils ayant quitté leur foyer durant ces jours de chaos. Les véhicules réquisitionnés côtoient les carrioles tirées à la main. Certains marchent pendant des jours, un enfant fiévreux dans les bras, emportant quelques effets, parfois même des objets incongrus : une cage d’oiseau, une horloge comtoise.
Mais les colonnes de réfugiés ne sont pas à l’abri. L’aviation allemande, semant la terreur, mitraille et bombarde les routes, les nœuds ferroviaires, les gares, les carrefours. Son objectif est clair : freiner la progression des troupes françaises vers le front.
Les têtes de pont allemandes d’Abbeville, d’Amiens et de Péronne commencent à se mettre en place à cette date. Elles sont encore fragiles, d’où la nécessité pour l’ennemi de paralyser les arrières français. Nulle part on n’est en sécurité, la terreur vient du ciel.
La préservation des populations civiles n’est pas une préoccupation des dirigeants nazis !
Des familles entières seront décimées sans avoir même rencontré l’ennemi. D'autres feront rapidement demi-tour, horrifiées par la vue des victimes jonchant les routes, ou rattrapées puis doublées par l’armée allemande.
Dans l’Oise, le village de Hardivillers, paisible commune agricole nichée entre collines et pâtures, au croisement de deux axes routiers importants, va devenir, le 20 mai 1940, le théâtre d’un de ces drames.
Au départ de Caudry
Dès le vendredi 17 mai 1940, à Caudry, la panique s’installe. L’armée allemande avance rapidement. De nombreux habitants quittent la ville.
Ce départ n’a rien d’improvisé. Depuis plusieurs jours, l'inquiétude monte dans les rues de Caudry et des villages alentour. Les autorités municipales, relayées par le bouche-à-oreille, ont conseillé aux habitants de se préparer à l’exode.
Des convois s’organisent pour évacuer. On répare à la hâte des carrioles, on attele des chevaux vieillissants, on entasse quelques biens précieux : couvertures, provisions, papiers de famille. Il faut choisir ce qu’on sauvera, et laisser derrière soi une vie entière.
Pour les adultes, c'est l'angoisse mêlée à l'urgence.
Les familles prennent la route à contrecœur, mais avec lucidité. Elles savent. Elles ont le souvenir de la terrible occupation lors de la Grande Guerre, un peu plus de vingt ans plus tôt.
Les enfants, parfois, ressentent une excitation joyeuse : le sentiment de partir à l’aventure, inconscients encore du drame qui les attend.
Partis le 17 mai au matin de Caudry, leur objectif, selon le plan d'évacuation, est de rejoindre la Mayenne. Les convois progressent lentement, suivant probablement la route de Péronne.
À trois kilomètres par heure en moyenne, il leur faudra près de quarante heures de marche pour atteindre Hardivillers. Trois jours de fatigue, d'angoisse, de poussière, avant de trouver sur place, non pas le répit, mais la tragédie.
20 mai à Hardivillers
Ce 20 mai est une journée noire pour les forces françaises engagées dans une lutte inégale dans les airs. Les Dornier allemands, épaulés par de nombreux Messerschmitt, sillonnent le ciel de Picardie. Le Groupement de chasse de la zone Nord, en alerte permanente, tente vainement de les intercepter. Mais, comme depuis le début de la guerre la supériorité allemande est écrasante, et les escadrilles françaises sont dépassées par le nombre et la coordination ennemie.
Les bombardements visent indistinctement les routes, les villages, les gares, et surtout les colonnes de réfugiés. Il faut lire les récits pour comprendre ce que cela signifie : des familles entières, femmes, enfants, vieillards, fauchés par les bombes, parfois même mitraillés à basse altitude. Dans cette guerre-là, le civil n’est plus une cible secondaire, mais un levier psychologique pour précipiter la défaite.
Carte Postale ancienne source libre
Vers 19 heures, le village de Hardivillers est bombardé. Plusieurs familles, croyant trouver refuge au "Parc", une place arborée située au cœur du village, tout près de l’église, se sont regroupées là. Pensant être à l’abri, elles sont frappées de plein fouet par une pluie d'obus.
La population locale découvrira les corps mutilés, sans vie, et entendra les cris de douleur et de désespoir des survivants hébétés.
Parmi les victimes, quatre familles originaires du Cambrésis :
Les Petit-Dubois de Bertry et Montigny, les Boniface-Lacherez de Haucourt, les Bourlet-Guinet de Clary et Caudry, les Guinet-Pigou de Montigny et Caudry.
La famille Petit-Dubois
Frédéric Petit etait né à Bertry en 1884, fils de Célestin Petit et Junie Herbet.
Boulanger, il épousa Marie Dubois en avril 1914 à Caudry, native de Montigny-en-Cambrésis (1893), fille de Jean-Baptiste Dubois et Lucie Loiseau.
Frédéric revint blessé de la Grande Guerre : une hernie inguinale le contraignait à renoncer à son métier. Il devint apprêteur et déménage à Caudry en 1932.
Le couple avait trois enfants, nés à Montigny : Léon (1919), Jean (1923), Denise (1926). On ignore encore si Jean était du voyage ce jour-là ; il fut le seul survivant.
Frédéric, Marie, et leurs deux adolescents, Léon et Denise, furent tués sur le coup.
Les quatre corps furent inhumés à Hardivillers dans l’urgence.
Puis, après l’armistice, dans la France occupée, ils furent exhumés, en présence de membres de leur famille, le 20 août 1942, et transférés à Montigny-en-Cambrésis.
Un témoin, Henri Gave, encore enfant au retour des corps, se souvient de ces quatre cercueils transportés sur une charrette, peut-être celle-là même qui les avait emmenés lors de l’exode.
La famille Boniface-Lacherez
Jean-Baptiste Boniface, ancien poilu du Chemin des Dames, ne voulait pas revivre ce qu’il avait déjà subi.
Avec son épouse Julia Lacherez et leurs enfants Juliette (1920) et Roger (1923), ils quittent Haucourt-en-Cambrésis.
À Hardivillers, sous les bombes, ils tentèrent de se protéger sous les chariots.
Julia et Juliette Boniface fures tuées.
Roger et son père survécurent, marqués à jamais.
Un article hommage a été publié sur La Voix du Nord en 2020 par Cédric, petit-fils de Roger Boniface.
Son témoignage est saisissant :
« Ils se sont réfugiés sous les chariots, mon grand-père et son père d’un côté, sa mère et sa sœur sous un autre. Malheureusement, les deux femmes se sont relevées trop vite et ont reçu des éclats d’obus. Sa mère a été blessée à une jambe et sa sœur à la gorge… Mon grand-père disait toujours que sa mère aurait pu être sauvée s’il y avait eu un médecin, mais que les blessures de sa sœur étaient trop importantes… »
La famille Bourlet-Guinet
Jules Bourlet était né en 1886 à Clary, fils d’Ernest Bourlet, brasseur, et de Léocadie Faubert.
Ancien combattant de 14-18, il avait vu mourir son beau-frère Arthur Millot deux mois avant l’armistice.
Veuf en 1926, il avait épousé Marthe Guinet, originaire de Caudry. Une fille, Gisèle, était née en 1932.
Tous trois prirent place dans le convoi du 17 mai. Jules et Marthe furent tués ; la petite Gisèle, blessée au bras, survécut et fut élevée par Augustin, frère de Jules.
La famille Guinet-Pigou
Georges Guinet, tulliste de Caudry, frère de Marthe Guinet, avait épousé en 1921 Irma Pigou, de Montigny, la fille de Fidèle et Marie Devaux.
Le couple avait reçu en février 1932 la médaille de bronze de la famille française pour leurs six enfants.
Irma, 43 ans, prise sous les bombes, ne revint pas. Elle laissait un veuf éploré et six orphelins âgés de 10 à 18 ans.
Un peu de généalogie…
- La famille Petit : comme Frédéric, je suis née à Bertry, et nos racines s’y entremêlent depuis de nombreuses générations. Mon logiciel de généalogie nous trouve une cinquantaine d’ancêtres communs. Quant à Marie Dubois, je n'ai pas encore suffisamment étudié ses ascendants pour déterminer si un lien existe entre nous.
- La famille Boniface : après la guerre, le fils Roger Boniface épousera Berthe Masclet, une sœur de Mathilde Masclet, la marraine de ma mère.
- La famille Guinet-Pigou : Irma Pigou était une petite cousine de mon arrière-grand-père maternel, Augustin Lefort de Montigny.
- La famille Bourlet-Guinet : Jules Bourlet est apparenté à la famille Delépine de Clary par le biais de la famille Michel.
Mémoire
Dès le 18 mai 1940 à Caudry, les tanks allemands pénètrent dans la cité, tirent sur l’Hôtel de Ville, tuant six personnes. L’occupation commence. La Kommandantur s’installe rue Salengro. (Source : Histoire de Caudry)
Le 20 mai 1940, à Hardivillers, ce sont vingt-quatre civils, d’horizons divers, qui perdirent la vie dans ce bombardement. Je n’ai pu citer ici que ceux ayant un rapport avec mon arbre généalogique.
Morts pour la France, ils ne furent ni oubliés, ni anonymes. Leur mémoire demeure, tissée dans notre Histoire et dans nos histoires familiales .
Sources et remerciements.
Sources
- Histoire de Caudry (en ligne)
- Mémoire des Hommes
- Remerciements aux contributeurs du forum Picardie 1939-1945
- Remerciements aux familles Bourlet, Boniface et Gave pour leur contribution et les photos familiales.
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