Cetait au temps ...

23 juillet 2005, Marie Louise Foulon

20 ans déjà, les funérailles

funérailles MLF

De nombreux Clarysiens, accompagnés de cousins et d’amis venus de tous les horizons, se sont rassemblés pour accompagner vers sa dernière demeure Marie-Louise Foulon, décédée le 23 juillet 2005, alors maire de Clary.

L’annonce de son décès en a surpris plus d’un. Fidèle à elle-même, la première magistrate s’était discrètement retirée de la vie publique quelques mois auparavant, pour ne pas nourrir les rumeurs. Seuls les membres de son équipe municipale et ses proches connaissaient la gravité de son état. Revenue à son domicile en début de mois, elle s’est éteinte paisiblement dans son sommeil, entourée de ses enfants et d’un personnel médical attentif.

Ce jour-là, la famille pleure la mère, la mamie, la belle-mère… mais Marie-Louise nous échappe, pour redevenir Madame le Maire aux yeux de tous. Sous une pluie fine, le cortège avance lentement de la mairie jusqu’à l’église. Dès l’entrée, l’harmonie joue ses accords graves, les cloches sonnent le glas. Le catafalque s’installe dans l’allée centrale, les porte-drapeaux entourent le chœur. À gauche, la famille et les proches ; à droite, « les officiels » : élus, pompiers, gendarmes, anciens combattants, musiciens, associations.

Tout est codifié, solennel, réglé à la minute… sans que nous en ayons vraiment conscience.

Ils sont venus, ils sont tous là…

Chacune de ces présences, chacun de ces regards, est témoin d’un moment de sa vie. Dans cette cérémonie collective, je cherche la trace de la femme que nous avons connue, aimée, celle dont l’histoire intime m’a été transmise. Alors, mes pensées s’envolent, quittent Clary… pour rejoindre la Belgique. Là où tout a commencé.

 

L’enfance

il neige sur la Belgique en cette fin d’année 1923. Non pas la neige de carte postale, mais celle, grise et pesante, qui recouvre les terrils et les rues du bassin minier de Charleroi. C’est dans ce décor rude mais familier, à Lodelinsart, que le foyer des Vanderhaegen-Desmet attend un heureux événement.

Le samedi 29 décembre, à dix heures du matin, Marie-Louise voit le jour au domicile familial. Sa maman, Adrienne Desmet, a accouché après une nuit de travail. Son papa, Jean-Joseph Jacques Vanderhaegen, la déclare dès le lundi à la maison communale. Il choisit pour elle le prénom de sa propre grand-mère, Marie-Louise.

Cette naissance a lieu au cœur de la Wallonie industrielle, dans ce qu’on appelle le « pays noir ». La famille, francophone, est ancrée dans une région où le charbon, les usines et les corons façonnent à la fois les paysages et les vies.

Vanderhaegen

 

Le patronyme  — littéralement « Van de Hag » en flamand — évoque à lui seul les origines flamandes de la famille. Il répond, côté francophone, à notre Delhaye bien connu.

Cedric batelierSi Marie-Louise et ses proches aïeux sont nés en Wallonie, la souche familiale plonge dans la Flandre flamande. Le petit village de Pamel, dans le Brabant, voit naître ses arrière-grands-parents : Géry, dit "Henri" Vanderhaegen, et Marie-Louise Schoojans. Un de leurs fils racontait, non sans émotion, que la famille avait jadis appartenu au petit monde de la batellerie. On les imagine alors, silhouettes discrètes glissant sur la Dendre canalisée, cette rivière que Verhaeren célébrait comme "une compagne fluide de l’homme simple, du travailleur de l’eau".

Mais bientôt, la famille pose l’ancre à Charleroi. En 1863, Henri et Marie-Louise se marient dans cette ville noire. Ils y pleurent leur premier enfant, la petite  Maria, morte en bas âge, puis voient naître tous les autres à Dampremy, dans l’ombre des usines et des hauts-fourneaux.

Jean-Joseph Vanderhaegen, le futur grand-père de Marie-Louise, naît au cœur de cette fratrie de sept enfants. Il épouse Antoinette De Keyser, une fille naturelle dont les origines restent, encore aujourd’hui, enveloppées de mystère. Le couple élèvera neuf enfants entre 1889 et 1909, dans une maison  probablement animée et bruyante, à l’image de leur époque.

Parmi eux, Jacques Vanderhaegen, père de Marie-Louise, naît en sixième position. Ce sont là les racines sur lesquelles Marie-Louise grandira — entre rigueur flamande et chaleur wallonne, entre les haies d’autrefois et les terrils d’aujourd’hui.

 

 

Desmet

 CordonnierNous quittons un instant les terrils du pays noir pour suivre une autre veine, tout aussi ancienne : celle qui mène à la côte flamande, aux rues sablonneuses d’Ostende, berceau de la famille Desmet depuis au moins six générations.

Desmet. En néerlandais, de Smet, de Smit, c’est le forgeron — celui qui façonne à coups de feu et de fer. Mais chez les Desmet, les outils étaient moins bruyants : la lignée fut cordonnière, de père en fils. Edouard Desmet, le grand-père maternel de Marie-Louise, n’échappa pas à la règle. L’acte de naissance de sa fille Adrienne (ou Adriana) le désigne comme schoenmaker : faiseur de chaussures, artisan bottier.

À cette époque, on ne "bricolait" pas une semelle. Le cordonnier chaussait les dames. Il cousait à la main pour des clientèles exigeantes, qui avaient troqué les sabots pour les bottines vernies.

Cette bourgeoisie, toute en crinoline et ambition sociale, voulait immortaliser sa réussite. Elle posait pour des portraits photographiques, véritables scènes figées d’une ascension sociale.

Et c’est là que, comme par enchantement, les femmes de la lignée maternelle de Marie-Louise nous apparaissent, captées sur papier glacé : Catherine Malfait, l’arrière-grand-mère (1837–1921), puis Clémence Debruyne, la grand-mère (1865–env. 1940). Coiffes parfaites, robes ajustées, camées discrets, poses savamment étudiées dans les studios chics d’Ostende ou de Gand : une bourgeoisie flamande sobre, mais sûre d’elle.

19201880Entre 1900 1910

Adrienne, la mère de Marie-Louise, n’échappe pas à cette esthétique. D’une beauté toute en finesse, elle incarne la grâce d’un monde bousculé par l’Histoire. Car en octobre 1914, la guerre les chasse d’Ostende. La panique gagne les civils : les routes sont noires de monde, les canaux débordent de barques chargées de familles, l’exode est massif. Adrienne, avec une partie des siens, quitte la mer pour les cheminées d’usines. Ils trouvent refuge à Charleroi.

Adrienne est l’avant-dernière d’une fratrie de six — trois filles, trois garçons — dont une petite sœur décédée trop tôt. Tous ne restent pas : certains repartiront en Flandre après la guerre. Mais elle, non. Elle reste. Elle s’ancre au creux de ce territoire grisâtre… par amour.

Les parents de Marie-Louise.

Jacques et Adrienne se sont unis le 24 septembre 1921 à Lodelinsart, au cœur du bassin minier de Charleroi. Lui, tout juste vingt ans, travaille aux chemins de fer ; elle, de deux ans son aînée, se déclare « ménagère », selon la formule consacrée. Le mariage réunit deux mondes différents : du côté de l'époux, les parents ne savent ni lire ni signer ; chez Adrienne, on lit, on écrit, on vient de Flandre, mais on parle aussi français.

Dans cette Belgique encore meurtrie par les combats de 14-18, l’espoir renaît. L’année 1923, marquée par une reprise économique, voit aussi naître leur unique enfant : Marie-Louise. L’enfant est potelée, vive, entourée de nombreux oncles et tantes — peut-être un peu trop, dira-t-on plus tard. Car si la famille est un soutien, elle peut aussi devenir juge.

La vie suit son cours. Rapidement, le bébé se mue en petite princesse. Déjà pointent les traits et l’attitude d’une personne bien déterminée à ne pas s’en laisser conter.

Très vite, le couple vacille. Les tensions montent. Des reproches surgissent, attisés par la belle-famille. En 1932, Adrienne quitte le foyer. Le divorce est prononcé quelques mois plus tard, en l'absence de l'épouse.

Une page se tourne, douloureusement. Marie-Louise, à peine âgée de neuf ans, est retirée à sa mère et placée en pension sur décision d’un conseil de famille. L’événement laisse une trace indélébile. Elle n'oubliera jamais cette blessure fondatrice. Toute sa vie, le mot divorce résonnera pour elle comme un traumatisme, un abandon.

l'adolescence, la pension

À Jumet, dans une école catholique tenue par les sœurs de Notre-Dame, Marie-Louise traverse son enfance en internat. Le dortoir, l’uniforme, l’austérité des religieuses… Tout lui est étranger. Coupée des siens, elle ne retrouve sa famille qu’aux grandes vacances. Le reste de l’année, elle vit dans une bulle de discipline et de silence, adoucie parfois par une « carte d’honneur », preuve de ses brillants résultats scolaires en 1933-1934.

Son univers se partage entre les murs de l’école et les visites chez son père, Jacques, descendu à la mine comme son propre père et ses frères. Tous travaillent au Bois du Cazier, à Marcinelle — ce nom qui, des décennies plus tard, deviendra synonyme de deuil national.

À cette époque, on est loin du Germinal de Zola, mais pas encore entré dans l’ère du progrès social. La vie des « gueules noires » est rude : travail en trois-huit, six jours sur sept, faible salaire, maladies professionnelles. L’accident, toujours possible, est un spectre familier. Le samedi 8 avril 1930, Jacques et ses proches participent à une pièce de théâtre en soutien aux victimes d’un coup de grisou. La solidarité est une valeur aussi essentielle que le charbon.

Jacques gravit les échelons. De mineur, il devient porion, puis porion de salaire. Il ne descend plus : il contrôle, évalue, distribue la paie. Une scène impressionne les petits-enfants en visite : leur grand-père, revolver posé sur la table, préparant des liasses de billets, tel un caissier armé, surveillé par la méfiance ouvrière.

Remarié à Gabrielle Hoslet, sans enfant, Jacques voit sa fille s’éloigner peu à peu. La cohabitation avec une belle-mère à peine plus âgée qu’elle se révèle tendue. Marie-Louise, privée d’une vraie place dans ce nouveau foyer, se referme. Loin de la tendresse maternelle, c’est une solitude morne, teintée de ressentiment envers ce conseil de famille qui a cru bon de trancher pour elle. L’internat, le silence, l’éloignement : autant d’épreuves qui forgent une volonté farouche. Une chose est sûre, pour elle : il lui faut un métier, et surtout, son indépendance.

 

Date de dernière mise à jour : Mer 02 juil 2025

  • Aucune note. Soyez le premier à attribuer une note !

Ce site comprend de nombreuses photos.

Pour une meilleures visibilité n'hésitez pas

à cliquer sur chacune d'elles afin de l'agrandir.