Adolphe Lenglet, mon AGP
Bertry, samedi 12 janvier 1861, Mon dieu qu'il fait froid ! Il gèle à pierre fendre. On patine sur toutes les rivières et canaux du nord de la france et les diligences peinent sur les routes verglacées.
Il se dit que les bouchers doivent scier la viande, le maigre, la graisse. L'eau des puits est gelée.
Le "grand moment "est enfin arrivé. Depuis plusieurs jours, Apolonie a préparé le trousseau du bébé et le sien. Pour bébé la layette traditionnelle et pour elle essentiellement du linge de corps : chemises, linge de seins, bandes de ventre... La fin de cette grossesse etait particulièrement angoissante, c'est qu'elle en a entendu des histoires d'accouchements plus terribles les uns que les autres. Des sornettes et des superstitions, "si tu as peur d'un chat l'enfant aura une tache de vin" ou "si tu croises les jambes l'enfant sera étranglé avec le cordon".
Apolonie a été installée sur un "lit de travail" improvisé, sa mère est près d'elle, Emerile son mari est au travail, dans son échoppe, il est bottier cordonnier. Ils se sont mariés en avril dernier, Apolonie née PRUVOT est rapidement tombée enceinte.
Toute la journée, le poêle à bois a ronflé et donné tout ce qu'il pouvait pour entretenir suffisamment de chaleur et permettre à la matronne de maintenir prête une marmite d'eau bouillante. Comme c'est le premier enfant le travail est plus long, plus difficile, on le lui a bien expliqué, "le passage n'est pas encore fait". Apolonie a tout le temps de penser à la prophétie faite à Eve "Tu enfanteras dans la douleur"
C'est au soir de cette froide journée, vers 20 heures, qu'Apolonie, est enfin délivrée et met au monde son premier enfant, un petit garçon qu'on appelera Adolphe.
Quatre années plus tard, la famille trouvera un second garçon dans les choux (les cigognes ne passent pas dans le ciel du Nord) : un petit frère pour Adolphe, ce sera Alfred né en 1865.
1881, Adolphe a 20 ans, il travaille avec son père comme cordonnier. Notre conscrit s'est vu attribuer le numero 64 au tirage au sort, avec un chiffre aussi bas, il est bon pour le service. Sa fiche matricule nous permet de le connaître un peu : c'est un petit bonhomme d'1m62, aux cheveux chatains, et aux yeux bleus.
Son degré d'instruction générale (n°4 sur la phot ci-dessous) signifie qu'il a obtenu le Brevet d'Enseignement Primaire Supérieur, il a fréquenté le "cours complémentaire". Son degré d'instruction militaire "exercé" me laisse perplexe, comment peut-on être exercé avant d'intégrer l'armée, mystère.
Le 2 décembre 1883, il rejoint le 25è bataillon de chasseurs à Pied, il sera dans l'armée active jusqu'au 22 septembre 1886, soit trois années.
Suivront des périodes régulières d'exercices au titre de réserviste en 1888, 1890, 1896 et 1901. Adolphe ne sera véritablement libéré de l'armée que le 1er octovre 1907.
En septembre 1886, Apolonie, la maman d'Adolphe et Alfred meurt à 49 ans, d'un cancer. Emerile se remariera quatre ans plus tard avec Joséphine PRUVOT, une lointaine cousine d'Apolonie à la 6è génération.
La succession partage d'Apolonie (voir photos) qui possédait des biens propres, attribue une parcelle de terre à Adolphe et une autre à Alfred. Voilà qui arrive à point nommé. En effet, Adolphe est maintenant "chargé d'âme".
Adolphe épouse, à Bertry, le 12 mars 1889, Mademoiselle Sophie PRUVOT (oui, je sais, cela devient compliqué tous ces PRUVOT, Sophie est une autre cousine lointaine à la 6è génération) . A cette époque Adolphe est employé de fabrication de tissus dans une usine de Bertry.
L'industrie textile est florissante, Bertry a réussi sa mutation, les usines travaillent pour des groupes de prestige comme le groupe Weill. Un certain nombre de copains d'Adolphe ont quitté la région pour monter à Paris, enfin plutôt Puteaux l'un des centres névralgiques de l'économie. Adolphe n'est pas tenté. Il a vu Epinal, il a vu Châlons, cela lui suffit. Ce monde là n'est pas pour lui. Adolphe sent qu'il peut prospérer ici comme artisan brodeur.
A Bertry c'est l'effervescence du mariage en ce mardi. Pendant ce temps, à Paris, c'est l'effervescence des préparatifs pour la toute prochaine exposition universelle. Ce 12 mars correspond à la fin de la construction de la "Grande Dame", qui sera inaugurée le 31 mars.
Adolphe et Sophie ont préalablement fait établir un Contrat de mariage par devant Maître Taisne, notaire à Caudry. Chacun a été doté de terres, ce qui leur permettra de "s'établir". Le couple habite rue de Cambrai.
Quelques mois après les noces, Sophie attend un heureux évènement. Cet heureux évènement ne se produira hélas pas. le 7 avril 1890, Adolphe se rend à la mairie de Bertry, en compagnie de l'instituteur Jean-Baptiste ROBERT, afin de présenter pour inscription à l'état civil un enfant sans vie de sexe masculin.
Adolphe quitte son emploi d'employé de fabrication, pour devenir brodeur.
On ne sait combien Sophie a fait d'autres fausses couches entre les deux mais, le 21 mars 1898, soit 8 ans plus tard, Adolphe a la lourde tâche de se rendre à nouveau à la mairie avec l'instituteur, à présent retraité, afin de présenter une fois encore, un enfant mort né de sexe masculin.
A l'automne 1900, Sophie est de nouveau enceinte. Le couple vient de se porter acquereur, en juillet, de la maison où ils habitent. Il s'agit d'un bien familial, cette maison appartient en bien propre à la mère de Sophie : Adolphine JOSPIN épouse de François PRUVOT.
L'acte de vente nous détaille les biens meubles : "une armoire, un lit garni, un poêle, une table et six chaises, une horloge, et divers objets ne méritant pas description" pour 200 Frs.
Ainsi que le bien immeuble : une maison à proximité du temple protestant couverte en ardoises, comprenant deux chambres, deux cabinets, un corridor, cave, grenier, écurie, grange, jardin et pâture pour la somme de 3000 F.
Enfin, le jeudi 25 avril 1901, Adolphe a le bonheur de se rendre en mairie pour déclarer la naissance de son fils Marc Adolphe Théophile (mon futur grand-père) il est accompagné de François Ratte, le nouveau directeur d'école et de Richard Lenglet, le garde champêtre.
Adolphe a 40 ans et Sophie 39 ans à la naissance de Marc.
En 1906,le couple déménage, il achète Grand-rue (rue de la République) une grande maison avec dépendances à usage de commerce. (Il s'agit du groupe de maisons qui sera partagé entre les membres de ma famille, dans l'une d'elles habite toujours ma mère). Adolphe prospère, il a acheté plusieurs métiers à broder d'où son besoin de place pour les installer.
La santé de Sophie s'est détériorée. Son organisme est totalement déminéralisé, épuisé par une forme grave d'ostéoporose. Elle sera dans l'incapacité d'élever son fils. Très fragilisée elle doit passer l'essentiel de son temps dans un fauteuil. elle décède le 21 mars 1913, son fils n'a que 12 ans.
1914 Première Guerre Mondiale. Les allemands occupent le territoire communal. Ils requisitionnent la maison, sauf une pièce laissée à l'usage d' Adolphe et de Marc son jeune fils. Ils cassent les métiers à broder à coup de masse et jettent les pièces dans le puits de la cour. Ils transforment toute la partie arrière en hôpital de campagne pour leurs troupes. Adolphe ne se remettra jamais vraiment de cette dernière épreuve. Il s'éteint le 25 juillet 1921, dans des circonstances que j'ignore, alors que son fils Marc est à l'armée. Je constate simplement que le décès est seulement déclaré le 28 juillet, soit trois jours après le décès.
Date de dernière mise à jour : Sam 09 jan 2021
Commentaires
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- 1. Catherine Livet Le Ven 08 jan 2021
C'est très intéressant à lire même si on est extérieur à la famille, j'aime beaucoup ! -
- 2. Christiane Bruneau Le Ven 08 jan 2021
Bel hommage à cet arrière grand père. La vie était bien dure en ces temps là !
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