Charles Delépine x Stuarde Lecerf
L'oncle Charles une vie en dents de scie.
Né à Clary en 1891, deuxième enfant après Félicie, il voit défiler autour de lui une fratrie de onze enfants, Ce n’était pas à l’époque le désordre bon enfant qu’on imagine aujourd’hui, on apprenait vite à s’entraider, partager le pain, la chambre… et les chaussures. Ce n’est donc pas un hasard s’il devient cordonnier : avec dix frères et sœurs, il ne devait pas manquer d’ouvrage, rien qu’à la maison !
Il travaille ensuite comme livreur en brasserie, avant d’être embauché en 1920 aux chemins de fer français. Une vie de travail, modeste et régulière, sans gloire mais sans faux pas.
La Grande Guerre
Appelé en 1912, Charles est classé service auxiliaire pour varices, puis affecté à la 1ère section des infirmiers militaires à Lille. Dans la foulée il se retrouve directement versé dans la Grande Guerre.Il traverse le conflit dans un rôle discret mais essentiel, marqué par de nombreuses évacuations pour troubles physiques et nerveux. J'ai consacré une page spéciale à cette période : Charles Delépine 14-18
En mai 1918, il est hospitalisé pour crises convulsives et névropathiques à l’hôpital temporaire n°39 de Bar-le-Duc. Il y retourne en août pour hématurie. L’armée n’avait pas encore mis de mots sur ce que l’on appelle aujourd’hui la névrose traumatique de guerre.
Et pourtant, en août 1939, à 48 ans, Charles est rappelé. L’état-major l’imagine encore bon pour le service, malgré ses tremblements et une hernie inguinale. Cette absurdité administrative aurait de quoi faire rire… si elle n’était pas si cruelle.
Trois mariages
En 1919, dès la paix retrouvée, Charles épouse Julia Manquant, jeune veuve de guerre originaire d’Hergnies. Ce n’est pas, pour eux deux, une “reconstruction” le terme est trop pesant mais un espoir de vie simple, de bonheur partagée, un apaisement possible après toutes ces horreurs. Hélas, Julia meurt en mai 1925, sans que le couple ait eu d’enfant.
Il a 34 ans en 1926, lorsqu'il épouse Marie Dehaspe, veuve de 42 ans, originaire de Soignies, dans le Hainaut Belge et il part s’installer avec elle en Belgique. Rapidement la mésentente s'installe et le couple se sépare rapidement. Charles revient seul en France en 1929, et divorce peu après.
Il fait alors la connaissance de Stuarde Marie Lecerf, originaire de Béthencourt, qu’il épouse en 1931. Le prénom étonne : Stuarde, introuvable ailleurs, presque unique, sauf une autre personnes également de Béthencourt, dont on peut penser qu'elle était sa marraine.
Stuarde Leclerc
Cuisinière à l’Hôtel de l’Europe de Caudry, elle incarne la stabilité et le sens du concret. D'autant plus qu'elle aussi est issue d'une grande fratrie, ils sont 9 enfants. Cela fait des points de convergence entre les deux époux.
Sur cette photographie de studio, Stuarde pose dans un décor fleuri, accoudée à une colonne de pierre. Un rouleau à la main, un livre à portée de bras. Une simple mise en scène typique de ces photos du début de siècle. Elle y semble à la fois songeuse et déterminée. Peut-être était-ce son portrait de fiançailles à l'attention de son amoureux.
Une image d’élégance discrète, bien éloignée de la silhouette familière de la cuisinière en tablier noir.
Caudry, l'hôtel de l'Europe
Un toit, une famille
En 1932, Charles et Stuarde font construire une maison rue Clément Ader à Caudry. Cet alignement d'habitations mitoyennes toutes semblables, typiques du Nord et du Pas de Calais qu'on appelle corons, y compris en dehors du pays minier.
L'oncle il ne se contente pas d’attendre les clés : il suit le chantier de près, met la main à la pâte, comme on le voit sur une photo. Tout sourire, il pose entre sa sœur Marie (à gauche) et son épouse Stuarde (à droite), sous l’arche encore inachevée.
Claudette, enfance
Le 17 mai 1936, après cinq années de mariage et alors que l'espoir s'amenuisait, Charles (46 ans) et Stuarde (40 ans) accueillent enfin leur fille tant attendue : Claudette Marie Lola Charlotte. Ce prénom composé, aux sonorités douces et élégantes, semble refléter les aspirations et les rêves de ses parents.
À cette époque, Caudry, ville industrielle du Nord, est en pleine effervescence. Le printemps 1936 est marqué par des mouvements sociaux d'ampleur, avec des grèves et des occupations d'usines, notamment dans le secteur textile, cœur économique de la région. Les ouvriers, portés par l'élan du Front populaire, revendiquent de meilleures conditions de travail et des droits sociaux accrus.
Pendant ce temps là, loin de toute cette agitation, dans une maison de la rue Clément Ader, une enfant naît, elle est la seule préoccupation de ses parents.
l'âge heureux
Enfant vive, joyeuse, Claudette s’invente mille vies, joue, chante, danse. Une photo d’octobre 1943, en pleine guerre, la montre en “petit rat”, costume de tulle et pose appliquée devant la maison familiale. Un instant suspendu, insouciant, malgré l’ombre des événements.
Elle peut compter sur sa cousine Renée, la fille de "Tante Marie", qui est en même temps sa marraine. Les deux fillettes ont une dizaine d'années d'écart, l'aînée veillera sur la cadette comme une petite maman.
En 1947,Claudette fait sa communion solennelle. La seconde guerre mondiale est terminée, et Stuarde est bien placée, comme cuisinière, pour pouvoir offrir un vrai repas de fête pour l'occasion. Cette cérémonie compte beaucoup dans la vie des familles, elle marque une sorte de rite de passage de la vie d'enfant à la vie d'adolescente. Hélas la seule photo qui témoigne de cette journée est floue. On y perçoit malgré tout la solennité du moment, dans la pose et la tenue vestimentaire des convives.
l'âge des responsabilités
Bientôt l’enfance cède la place à l’âge des responsabilités. À la sortie de l’école obligatoire, Claudette entre à l’usine, comme tant d'autres filles du textile. Elle est embauchée chez Alfred Melayers & Cie, manufacture de tulle, dentelle, guipure et broderie à Caudry.
Ce travail de précision, sur machine qui requiert à la fois adresse et endurance, devient son quotidien. Elle met toute son application à bien faire. Dans l’atelier, une camaraderie forte se tisse. Entourée de ses collègues, dans une ambiance bon enfant, les journées passent vite.
Et puis, il y a la vie en dehors de l’usine. Claudette est une jeune femme coquette et élégante, toujours bien mise, taille fine, silhouette droite et regard franc. Sur une photo prise en promenade, un jour de fête; elle marche bras dessus, bras dessous avec sa meilleure amie, Jeanine Dubois (épouse Lefèbvre).Toutes deux, vêtues de noir, semblent prêtes à conquérir la vie.
Le temps des amours
1956, Claude a vingt ans. Elle est amoureuse.
Elle a rencontré un jeune homme Henri Lucien Lecoq, né en 1935 au Cateau. Il exerce le métier de maçon. Ils n'auront pas faim, à l'époque le travail ne manque pas.
Henri Lecoq a un air très juvénile, presque fragile encore. C’est un visage d’adolescent sage, avec ce regard un peu étonné, ces sourcils épais et cette bouche entrouverte comme s’il s’apprêtait à parler ou à écouter.
Il semble encore au seuil de sa vie d’homme, un peu dépassé par la rapidité des événements. Il n'a pas terminé son service militaire et ne détiens pas encore le permis de conduire.
Très rapidement on officialise leur relation en célèbrant les fiancailles. La famille proche se réunit autour d'un repas concocté par Stuarde. Claudette au bras d’Henri est rayonnante dans son manteau long et son chapeau à large bord, très élégante. Lui, en uniforme militaire, la tient fermement. Le décor familier de la maison de la rue Clément Ader sert de toile de fond à ce moment suspendu. Ils sont beaux, jeunes et amoureux mais rien n’est encore assuré.
Le mariage est célébré le 2 mars 1957. Henri est toujours sous les drapeaux, sans emploi stable. Et Claudette est enceinte de leur premier enfant, Catherine, qui naîtra en juillet. Rien de bien rare pour l’époque, mais une situation précaire, qui oblige à s’en remettre à la famille. Heureusement, Charles et Stuarde, ses parents, sont là, et soutiennent leur fille sans faillir.
Catherine, Philippe et Yves...
Trois naissances en quelques années.
Une fratrie rapprochée, haute comme trois pommes, pleine de vie. Une photo les montre, tous trois bien droits devant une statue, cheveux bien peignés, petits souliers vernis, fiers d’être ensemble. Rien que de la lumière sur leurs visages d’enfants.
Mais c'est aussi beaucoup de travail et de fatigue pour la maman. Aussi lorsque Claudette est de nouveau enceinte, la charge lui paraît beaucoup trop lourde, elle ne le supporte pas. Cette grossesse arrive trop tôt, trop vite.
L’avortement est clandestin, dangereux. Elle y laissera la vie...le 7 février 1966.
Epilogue
Stuarde Lecerf, la mère attentive, la cuisinière en tablier noir, s’éteint en 1959, deux ans après le mariage de Claudette. Elle n’aura connu que sa petite-fille Catherine, encore bébé, mais pas ses deux petits-fils. Elle ne saura jamais le triste destin de sa fille.
L’oncle Charles lui survivra une décennie. Il meurt à l’hôpital de Cambrai en 1969, à l’âge de 78 ans. L’homme, cabossé de la Grande Guerre, mais résilient et souriant, repose aujourd’hui auprès de son épouse au cimetière de Caudry.
Quant à Henri Lecoq, il élèvera seul leurs trois enfants, avec le soutien discret mais essentiel de sa famille. Il s’éteindra en 1991, à seulement 56 ans, usé sans doute par les responsabilités, le travail, et les silences que l'on garde pour tenir bon.
Remerciements
Ainsi s’achève ce récit, tissé d’amour et d’épreuves . Et si le fil s’est rompu trop tôt pour Claudette, il continue pourtant à travers ses enfants, à travers ceux qui se souviennent.
Cette page a été réalisée avec la collaboration de mon petit cousin Philippe Lecoq dont j'ai fait la connaissance en cours de l'année 2015 grâce à ce blog. Il m'a parlé de sa famille et confié toutes les photos. Je l'en remercie vivement. Il m'a été permis de découvrir à quel point Claudette et ma maman Rolande, sa cousine se ressemblaient. (A gauche Rolande, à droite Claudette)
Je remercie également tous les membres de la page Facebook "Claudry d'hier et d'aujourd'hui" qui m'ont aidée dans l'authentification des lieux et des personnes.
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Date de dernière mise à jour : Mer 04 juin 2025
Commentaires
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- 1. VERONIQUE ESPECHE Le Jeu 05 juin 2025
Une triste saga de gens abimés par la vie, racontée avec bonté et sans parti pris .... C'est beau-
- Dominique LENGLETLe Jeu 05 juin 2025
C'est beau, mais c'est triste
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- 2. commentaire Facebook Le Mer 04 juin 2025
"je reconnais une cousine de ma maman, 2é rang à gauche, Marie Leroy, sans doute chez Mélayers ou peut etre chez Lescroart qui en ce temps la travaillait pour la guerre d'Algerie!!!!!!!!si c ça l'atelier était rue du Cateau." -
- 3. anonyme Le Mer 04 juin 2025
"oui C'est bien Jeanine Dubois qui est devenue Mme LEFEVBRE son époux Michel frabiquant de broderie rue de Ligny .
Cette dame a tenu une petite epicerie qui faisait le coin de le rue de st quentin et de la rue paul bert, c etait une dame charmante .
j avais bien reconnu Jeanine, elle etait d une gentillesse et Michel aussi , ils formaient un couple tres amoureux , qu ils reposent tous les deux en paix" -
- 4. DELEPINE Rémy Le Lun 08 avr 2019
Bonjour,
Merci pour votre réponse, j'ai créé mon arbre sur généanet, ma famille vivait sur Auchel et Rely d’après les (rares) informations que j'ai pu recueillir. Mais des DELEPINE il y en à beaucoup, ne serais-ce que dans le Pas de Calais.
Cordialement -
- 5. Delépine Rémy Le Mar 06 mars 2018
Bonjour,
Je ne sais pas si nos familles ont des ancêtres communs, je sais qu'il y avait plusieurs familles Delépine dans le pas de calais, de corps différents.
Mon Père est né à Auchel, comme moi d'ailleurs. J'ai construit un arbre généalogique sur papier, c'est très intéressant, mais je possède peu de photos.
Cordialement-
- Dominique LENGLETLe Dim 11 mars 2018
Bonjour Rémy. A priori aucune correspondance n'a été trouvée entre les Delepine du Pas de Calais et ma branche arrivée directement de Belgique. Bonne continuation, et surtout : il faut beaucoup de temps et de patience pour collectionner les photos, prendre contact avec des petits cousins et arrière petits cousins dont tu ignorais même l'existence, les convaincre, et persévérer encore. Amitié
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